Mariana : la cravache de l'amant, la curée…et les larmes à l’étrier
- Écrit par : Julie Cadilhac
Par Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ Mariana a 42 ans. Avec son mari Pedro, ils vivent la difficile épreuve des stimulations hormonales et des rendez-vous gynécologiques à répétition qui mèneront à l’implantation d’un embryon. Mariana est issue de la haute bourgeoisie chilienne et elle résiste aussi comme elle peut aux rôles que son père et son mari lui octroient. Signer des papiers concernant l’exploitation forestière familiale sans avoir à émettre le moindre avis, jouer les bonnes épouses et vivre en toute quiétude dans une opulence confortable sans poser de questions, voilà son quotidien. Il n’y a bien qu’auprès de Juan, son professeur d’équitation sexagénaire, ex-colonel suspecté d’exactions pendant la dictature, pour lequel elle éprouve une attirance de plus en plus marquée, qu’elle se sent vivre. Leur liaison ébranle cependant les secrets jusqu’alors bien cachés qui protègent sa famille du passé. Mariana, dont la curiosité et l’insolence n’égalent que l’imprévisibilité, décide d’enquêter…mais aura-t-elle le courage d’aller jusqu’au bout de ses découvertes?
La réalisatrice explique : « Lorsque j’ai abordé l’écriture du scénario, j’ai réalisé que ce n’était pas une histoire d’amour entre le Colonel et Mariana que j’écrivais, mais l’histoire d’une femme encerclée par quatre hommes féroces : le mari, le père, le colonel et le policier. Le monde de Mariana est complexe. Au travers de ses yeux, nous pénétrons dans la haute société chilienne, une société marquée par la violence et le déni des responsabilités concernant l’établissement de la dictature, sa perpétuation, et les crimes commis. Le contexte du film est ainsi celui d’un pays gagné par une violence sourde, où les quarantenaire bien-nés qui entourent Mariana méprisent la junte militaire salie par les affaires, tout en fermant les yeux sur les origines de leur propre prospérité. »
Antonia Zeegers est médusante en femme insaisissable qui se retranche souvent dans un rôle de femme-enfant et trinque plus que de raison pour éviter d’affronter la réalité : « ça me traverse l’esprit…et je le dis ». Dérangeante car sans retenue et d’une spontanéité déconcertante. L’actrice offre à ce personnage de galeriste passionnée par l’art underground, torturé et contemporain, un visage aussi singulier que mémorable. Entourée d’hommes tous violents à leur manière à son égard ( le père en méprisant sa capacité à jouer un rôle actif dans l’entreprise, son mari en l’invitant à jouer le rôle d’épouse docile, l’amant aux leçons musclées et à la cravache facile, le flic « revanchard social » au viol insupportable), Mariana fait l’effet d’une enfant fragile entourée d’une meute comme dans le tableau de Guillermo Lorca « Laura y los perros » qu’elle se voit offrir dans le film. De nombreuses questions qui outrepassent la situation contextuelle du Chili se soulèvent dans ce long-métrage : comment pouvoir donner la vie quand l’on refuse de s’affronter à son passé? comment être serein lorsque les exécutants sont punis et les commanditaires épargnés? comment être une femme heureuse dans une société encore terriblement machiste et paternaliste?
Au bout du chemin, des cadavres de chiens jonchent encore et encore le sol car la curée n'est pas finie et qu'on préfère hurler avec les loups, même si notre conscience finit toujours par revenir au galop…
[bt_quote style="default" width="0"]Il y a des gens qui n’apprennent qu’en tombant. [/bt_quote]
MARIANA (LOS PERROS)
Date de sortie ( France) : 13 décembre 2017
Durée : 1h 34min
De Marcela Said
Avec Antonia Zegers, Alfredo Castro, Rafael Spregelburd, Alejandro Sieveking, Elvis Fuentes, Juana Viale…
Mariana (Los Perros) : Photo Alfredo Castro, Antonia Zegers - Copyright Nour Films
Vu en avant-première le 30 novembre 2017 au Cinéma Diagonal - Montpellier ( 34)
Guillermo Lorca : un peintre sud-américain à la croisée de la peinture baroque flamande et de l'animation japonaise - Interview- novembre 2014
Né à Santiago au Chili, Guillermo Andrés Lorca GarcÃa Huidobro est un jeune peintre de 30 ans. En 2005, il devient l’assistant du peintre norvégien Odd Nerdrum qui a une affinité particulière avec Caravage pour son réalisme implacable et Rembrandt pour son pittoresque et sa patience envers l’homme. Depuis, l’apprenti s’est émancipé et crée des toiles aussi étranges que fascinantes. A la croisée de plusieurs influences dont la peinture baroque flamande, ses tableaux ont des accointances avec l’univers des contes cruels des frères Grimm qui avaient l’art de raconter des histoires pour apprivoiser nos démons ordinaires. Y prospèrent des chiens de races diverses ( souvenir inconscient de la multiplication des chiens errants en Amérique Latine?) avec lesquels jouent souvent des enfants au regard troublant, reflet d’une douleur originelle indicible? 
Invitation à vous faire votre propre impression, en mots et en images, sur cet artiste sud-américain prometteur!
Pour commencer, pourriez-vous nous parler un peu de vous?

Je suis né au Chili et j’y ai grandi. J'ai étudié à Santiago et en Norvège avec l'artiste Odd Nerdrum. J’ai commencé à travailler très jeune. A 20 ans, j'avais déjà conçu une énorme fresque de 4x45 mètres pour l'une des caves à vin les plus importantes au Chili. J'ai vécu dans des endroits différents pendant de courtes périodes, mais je préfère rester dans mon pays, où je vis en ce moment… ce qui pourra peut-être changer au fur et à mesure que je vais commencer à internationaliser ma carrière.
Sur quels supports et avec quelles matières travaillez-vous?

Je travaille habituellement avec de l’huile sur toile. Si l'on s'intéresse d'abord à la palette de couleurs que vous utilisez, on remarque immédiatement votre inclination pour l'ajout d'une touche très colorée ( du rose ou du vert piquants) qui semblent être des couleurs que vous utilisez pour " trancher", ôter à vos toiles sa facture classique... on se trompe? 
Il y a deux raisons pour lesquelles j'utilise des couleurs qui tranchent avec le contexte : la première est que je me donne la liberté de changer la couleur dont j'avais besoin au départ lors de la poursuite de la composition, sans suivre aucune règle. L'autre (dans le cas de la couleur de cheveux pour les filles) provient de l'influence de l'animation japonaise dans mes œuvres.
Vos toiles sont surtout peuplées de jeunes enfants et de chiens : pourquoi ces caractères en particulier?

C'est un monde où il n'y a pas encore d’adulte moralisateur ; on baigne dans le monde archétypal de l'inconscient, évidemment au travers de ma propre subjectivité. Pour l'instant, ces caractères font sens pour moi, je ne saurai vous expliquer entièrement pourquoi. Probablement qu’en évoquant des images de l’enfance, je peux me rapprocher de ce que je recherche.
Avez-vous des mentors en matière de peinture? Quand on observe vos toiles, on est immédiatement sensible à leur imprégnation baroque...

J'ai plusieurs mentors; pour une part, les anciens maîtres, la peinture baroque en particulier hollandaise et flamande. De cette époque, Rembrandt est mon préféré. J'aime aussi Velázquez, Tiepolo, Sargent, Monet, Sorolla, Gustave Doré, l’illustrateur Franz Von Byros…etc. D’un autre côté, il y a de nombreux artistes contemporains comme Helnwein, Nerdrum, Hirst, Freud et bien d'autres. Les films et animations sont également d'un grand intérêt pour moi. Et, dernièrement, le monde animal et les vestiges archéologiques des cultures primitives me passionnent et commencent à m’inspirer.
Vos œuvres jouent sur le contraste entre l'innocence et la débauche, l'esprit et la chair, la vie et la mort...c'est bien ça? 

Mon travail en général est un ensemble de forces opposées comme Eros et Thanatos. Symboliquement c’est difficile pour moi de les séparer. Mon travail est à la fois une transgression de l'ordre établi et un débordement de l'être.
Vos toiles évoquent, certes, le monde de l'enfance mais en y mêlant subtilement un je-ne-sais-quoi de terrible...

Je souhaite que, dans mes tableaux, se produisent quelque chose de semblable à ce qui se passe dans les contes de fées, où il y a une narration très claire et simple mais également la combinaison d'événements et de symboles qui secoue l'estomac. Ce sont des histoires pour l'inconscient.
Comment naissent vos toiles? de visions? d’associations d'idées? Par exemple, comment est née " Laura y los perros"? 

D'abord une idée me vient à l'esprit, j’ai une vision de ce que je veux peindre. Ensuite, elle se concrétise réellement à travers un croquis, je compose l'image aussi bien que possible et, durant le processus, d'autres idées surgissent habituellement. Ensuite, je regarde pour les modèles et je compose à nouveau, en utilisant des photos ou des modèles vivants selon la peinture. Peindre est la dernière étape et je le fais à la manière des Anciens..
Vous travaillez donc parfois avec des modèles qui posent…. et parfois à partir de photographies de scènes préalablement prises ?

Oui, il s'agit d'un mélange. Ma méthode de peinture est similaire à celle d’antan, celle que l’on m’a enseignée. Mais, en ce moment, je commence à utiliser aussi la photographie et les nouvelles technologies pour atteindre la composition que je recherche.
Et la toile à la composition complexe: " Fiesta de disfraces"? Une anecdote au sujet de sa création?

Cela a été particulièrement compliqué, je n’étais pas familier avec les compositions de haute complexité, j'ai modifié tellement de personnages que j’avais déjà peints! D'une certaine manière, j'ai peint ce tableau à deux reprises !
Quand êtes-vous satisfait d'une toile?

J'ai plus ou moins une idée de ce à quoi doit ressembler la toile finale ; il n'est donc pas difficile de le savoir. Le tableau suivant tente toujours d'améliorer ce qui ne me satisfait cependant pas dans le précédent; je ne peux pas espérer atteindre l’idéal en un seul tableau!
Le site officiel de Guillermo Lorca
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