Les sauteurs : le « migrant » n’est pas un oiseau migrateur comme les autres...
- Écrit par : Guillaume Chérel
Par Guillaume Chérel - Lagrandeparade.fr/ On finirait par oublier que ce sont des êtres humains comme vous et moi… A force de voir « ça » de loin. Des images de corps flottant sur l’eau ou d’autres corps grimpant des barbelés, tels des zombies désincarnés, justement. C’est où l’idée de Moritz Siebert est quasi géniale : confier une caméra à un « migrant » presque lambda, afin de saisir le vécu, in situ, au quotidien. La chance a voulu que le « bénéficiaire » du cadeau était Abou Bakar Sidibé, un malien très malin qui a su utiliser sa caméra. Avec humour (cf. la scène où il se lave, en prenant soin de ne pas montrer ses fesses), ou celle du match de foot : Mali-Côte d’Ivoire… Ou quand il n’oublie pas de filmer lorsque la police les pourchasse, voire lorsqu’il revient à son camp de fortune mis à sac. Mais revenons au point de départ.
Nous sommes à la frontière marocaine, où se trouve la ville de Melilla, une enclave espagnole entre l’Afrique et l’Europe. Sur la montagne qui surplombe Melilla, un millier de migrants africains contemplent la barrière qui les sépare de « l’Eldorado ». Abou est l’un d’entre eux- le filmeur et le filmé. Armé de sa petite caméra il témoigne de sa vie quotidienne et de ses nombreuses tentatives pour sauter la fameuse barrière. Ses plans sont entrecoupés de ceux, beaucoup plus froids, mécaniques, de la caméra de surveillance qui les épie à plusieurs centaines de mètres, côté espagnol… européen, occidental : Big White is watching you, blackman. A chaque tentative ratée, après avoir affronté les barbelés, les sprays automatiques au poivre et les autorités agressives, chacun retourne au Mont Gururu, récupérer de la nourriture dans les poubelles des villages voisins. Chacun de ces hommes tentent de maintenir un semblant de communauté et d’entraide (la fameuse solidarité africaine), dans l’espoir de survivre ensemble à ce drame quotidien et de garder confiance aussi bien eux qu’en leur destin.
Le documentaire « Les sauteurs », sorti en salles ce mercredi 5 avril, mêle donc des images de caméras de surveillance de la police marocaine à la frontière de l’enclave espagnole de Melilla qui alternent avec celles tournées par un jeune Malien à qui les réalisateurs ont donné une caméra pour qu’il filme de son propre point de vue, sa vie quotidienne dans le camp de Guruguru où il se prépare à tenter le grand saut : celui de la triple barrière de grillage et de barbelés qui le sépare de ses rêves d’Europe. C’est parfois un peu long mais c’est criant, touchant de vérité. Après avoir vu ce film, on ne regarde plus les « migrants » de la même façon parce que nous nous sommes identifiés. Nous sommes dans l’empathie. Réhumanisés, quoi. Multiprimé, ce documentaire en dit plus sur ce scandale humanitaire que des pages et des pages d’articles et de rapports humanitaires.
LES SAUTEURS
Titre international : Those Who Jump
66ème Festival de Berlin 2016 – Forum - Prix œcuménique
Un film de Moritz Siebert & Estephan Wagner en coréalisation avec Abou Bakar Sidibé
82 minutes - HD - 5.1 - Couleur - Danemark - 2016 Version originale : Français / Mambara - sous-titrée française
Sortie du film : 5 avril 2017
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