Par Sylvie Gagnère - Lagrandeparade.com/ Troisième Moyen-Âge – dans un futur très lointain, une partie de l’humanité végète sur Terre, tandis que l’omnipotente Corporation conquiert planète après planète, asservissant ou éliminant les populations rencontrées.

À bord de ses navires, des poètes officiels sont chargés de composer des œuvres épiques, célébrant les exploits guerriers des vaillants combattants. Exploits embellis, exaltés, et déformés ! Leurs créations se répandent ensuite dans l’univers, reprises, modifiées, les gens se les approprient, et leurs auteurs sont oubliés. La Corporation est dotée d’une armée surpuissante et impose sa loi sur le moindre caillou croisé. Elle a besoin de propagande pour garantir la docilité des peuples et échauffer le courage de ses soldats, qui tombent en nombre. Hamlet Evans a été l’un de ces poètes, jusqu’à ce que la cruelle vérité lui explose au visage et qu’il choisisse la démission, et la liberté. Dès lors, il est traqué par la Corporation, qui ne peut laisser passer le plus petit acte de rébellion.

Rafael Marin a opté pour une construction narrative particulière : le premier chapitre nous montre le héros (et narrateur) poursuivi par la Corporation. Puis elle propose un retour en arrière, qui nous permet de comprendre tout le parcours d’Hamlet. Nous le retrouvons d’abord sur Terre, jeune dandy qui se rêve rimailleur, puis étudiant zélé au Monastère qui imagine son intégration dans un vaisseau de guerre, ensuite poète officiel qui découvre les horreurs de la colonisation et de la volonté expansionniste de la Corporation. Après sa démission, il sera paysan, clown, prostitué, acteur… mais toujours résistant.

La geste d’Hamlet Evans est un magnifique récit, entre space-op et roman social et politique. La voix d’Hamlet Evans résonne fort, nous nous attachons immédiatement à ce personnage, d’une lucidité et d’une humanité remarquables. Sa curiosité, sa soif de lecture, son amour de l’art nous séduisent tout autant que son honnêteté. Ce n’est pas un protagoniste sans reproche, c’est un homme, avec ses travers, ses faiblesses, ses erreurs, ses forces aussi, sa capacité à décaler son regard pour dénoncer l’absurdité de cette guerre d’expansion sans fin. L’importance de l’Art est au cœur de l’histoire, dans ce qu’il apporte à l’individu et à la société tout entière. Les seconds rôles ne sont pas en reste, compagnons de route ou antagonistes, tous sont remarquablement dépeints et souvent très touchants. L’écriture, très maîtrisée, parfois quasi neutre, parfois lyrique au gré des événements, leur donne une ampleur et une intelligence qui nous marquent.

Les thématiques abordées sont criantes d’actualité : la manipulation de l’opinion publique via les diversions offertes au peuple, les récits enjolivés et glorifiés des puissants.

L'ouvrage se révélant être un magnifique plaidoyer contre la guerre et pour l'affirmation de l'art comme un acte de résistance, la force de son message en est ainsi consolidée. Rafael Marin dénonce avec vigueur le colonialisme, l’aveuglement des masses (sans les juger, mais en exposant crûment les mécanismes d’asservissement dont ils sont victimes). L’Art y incarne le combat pour la vérité, la justice, et la liberté, fut-ce au prix de sa vie.

Porté par un héros auquel on s’attache très vite, émaillé de références littéraires et théâtrales, soutenu par une écriture maîtrisée et une structure narrative originale, La geste d’Hamlet Evans est un formidable roman de SF, à découvrir absolument !

La geste d’Hamlet Evans 
Auteur : Rafael Marin
Éditions : Argyll
Parution : 23 août 2024
Prix : 24,90 €