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Le livre de Hain - intégrale, tome 2 : deux romans d’une puissance et d’une force remarquables, des nouvelles splendides, des textes passionnants, ce second tome de l’intégrale est à la hauteur de nos attentes !

  • Écrit par : Sylvie Gagnère

HainPar Sylvie Gagnère - Lagrandeparade.com/ Les humains du monde de Hain ont colonisé de nombreuses planètes, mais leur déclin a signifié la fin des voyages spatiaux, et l’isolement de chacune d’entre elles. Une organisation interplanétaire, l’Ekumen, envoie des émissaires partout où elle le peut, pour reconstituer une civilisation qui regroupera tous les peuples. Chaque récit se déroule dans le cadre général qui est celui du cycle de Hain, mais l’autrice raconte à chaque fois une histoire différente, étudiant un monde particulier, qui lui donne l’occasion d’interroger les thématiques qui lui tiennent à cÅ“ur : la politique, le genre, le féminisme, l’écologie… Ce second tome de l’intégrale regroupe deux romans, treize nouvelles et trois textes inédits.

Nous commençons avec Le nom du monde est forêt qui nous emmène sur la planète Athshe, un paradis couvert d’une forêt qui est la terre. Des humains au corps revêtu d’une soyeuse fourrure verte y vivent en paix, jusqu’à ce que d’autres humains, plus grands, tombent du ciel et entreprennent de défricher la forêt, de la détruire. Pour eux, les Athshéens sont des animaux sauvages, qu’ils s’autorisent à violer, tuer, réduire en esclavage. Ils ont démoli leur propre monde, la Terre, et sont avides de bois et de matières premières. Le roman raconte l’histoire de Selver, un indigène qui devint un dieu parmi les siens, en leur apprenant la haine, et de Lyubov, un ethnologue terrien qui tenta de sauver l’honneur des siens. Le nom du monde est forêt est un texte dur, violent, qui met en scène une civilisation coloniale totalement indifférente à la souffrance de l’ethnie première, obsédée par l’obtention de toujours plus de richesses. La dénonciation du colonialisme est radicale, empreinte toutefois comme souvent chez Ursula K. Le Guin, d’un souffle poétique magistral. L’autrice y analyse les relations qui se créent entre deux peuples si radicalement étrangers, dont les cultures et les modes de pensées sont fondamentalement autres.

Cinq des nouvelles qui suivent ont paru dans le recueil Cinq chemins de pardon qui a été chroniqué sur ce site. Trahisons, Jour de pardon, Un homme du peuple, Libération d’une femme et Musique Ancienne et les femmes esclaves composent une mosaïque qui dénonce l’absurdité des croyances en la supériorité d’une race sur une autre, la folie du capitalisme qui conduit à la pratique de l’esclavage, la stupidité de la misogynie qui prive une société de la moitié de son intelligence et de ses qualités.

L’histoire des Shobies et La danse de Ganam sont des variations sur le même thème, le voyage instantané via la transilience, et ses redoutables effets secondaires. La rencontre de l’autre, la réflexion sur nos perceptions propres de la réalité sont au cœur de ces récits.

Les trois nouvelles suivantes se situent sur une planète où la société est divisée entre gens du Matin et gens du Soir. Les règles qui régissent les relations sont très strictes, et les mariages s’y concluent à quatre, un homme et une femme du Matin, un homme et une femme du Soir, qui ont des rapports hétérosexuels et homosexuels. Le seul tabou est l’interdiction d’avoir une relation avec une personne de la même moitié de journée que soi. Le pêcheur de la mer intérieure s’attarde à décrire les mœurs de cette société et les implications du système. Voyages dans l’espace et dans le temps, découverte de l’autre et acceptation de la différence, les thématiques chères à l’autrice sont bien présentes. Un amour qu’on a pas choisi présente un brin de tendresse et de nostalgie touchant, qui éclaire d’un jour plus personnel cette culture, tout comme Coutumes montagnardes, qui s’autorise un chemin de traverse avec ses personnages qui flirtent avec les lignes, voire les franchissent. Les implications du système marital sont disséquées, non pas de façon abstraite, mais par leurs conséquences directes sur des êtres humains.

Le Dit d’Aka est le second roman de cette anthologie. Sutty, une terrienne qui a échappé à la religion antiscientifique qui a imposé une dictature sur Terre, a rejoint les rangs de l’Ekumen. Elle est envoyée sur une planète récemment découverte, Aka. La Corporation (les dirigeants d’Aka), fascinée par l’Ekumen et sa prodigieuse avance technologique, a décidé d’anéantir la culture ancestrale, brûlant les livres, stoppant toute propagation des « Dits Â» et massacrant les opposants à cette marche forcée. Le scientisme est ici porté au niveau d’une religion athée, tout aussi fanatique que les autres. C’est le prix à payer, dit-elle, pour se moderniser et atteindre les étoiles. Sutty découvre comment une société peu évolutive, ancrée dans une tradition transmise par la parole et les contes, a été bouleversée par l’arrivée des voyageurs venus du ciel. Le parallèle est frappant entre la Terre où l’Unisme a entrepris de détruire le bagage scientifique, et Aka, où la Corporation renie le savoir traditionnel. Ce n’est pas une bataille entre progrès et tradition, mais la démonstration que tout fanatisme mène à la destruction de la collectivité. Sutty va toutefois avoir l’occasion d’explorer une région montagneuse de l’arrière-pays, plus préservée de la Corporation que la capitale. Petit à petit, elle découvre une civilisation tolérante, d’une grande richesse, respectueuse des autres et férue de culture, où le Dit raconte l’histoire de ce peuple, dont le savoir est essentiellement oral. Au-delà d’Aka, on pense bien entendu à notre propre planète, à tous les peuples « premiers Â», à l’acculturation qui les menace, à la disparition de connaissances uniques, à l’oubli des langues faute de locuteur. Ursula Le Guin met en garde contre l’uniformisation qui nous guette, qu’elle soit consciente ou insidieuse.

Pour autant, ce n’est pas un essai sur le sujet qui nous est ici proposé, c’est une vraie histoire, forte de personnages fascinants, d’un background incroyablement riche, soutenus par une écriture poétique, subtile et incisive. Magnifique hommage au pouvoir des mots, du langage, ode à la tolérance et à l’acceptation de l’autre, espoir que l’humanité possède, malgré tout, les ressources pour corriger ses erreurs et aller vers un avenir meilleur, réflexions sur les sociétés, leurs contraintes, leurs choix, sur la place des individus et leur regard unique, Le dit d’Aka, dernier roman du Livre de Hain, porte en lui tous les thèmes de l’œuvre de Le Guin. Et tout son talent !

Trois articles inédits, À propos de Werel et Yeowe, Introduction au Nom du monde est forêt et Sur les raisons de ne pas lire de science-fiction viennent enrichir cette intégrale, ainsi qu’une chronologie et les notes sur les textes.

Le livre de Hain - intégrale, tome 2
Autrice : Ursula K. Le Guin
Éditions : Le Livre de Poche
Date de sortie : 2 novembre 2023
Prix : 23,90 €

Cinq chemins de pardon : cinq récits pour un puissant roman humaniste

 

 


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