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Le Niçois : le bon, la brute et le truand en un seul homme

  • Écrit par : Guillaume Chérel

Le NiçoisPar Guillaume Chérel - Lagrandeparade.fr/ « Je vous parle d’une époque où les hommes à moustache avaient encore leurs chances avec les jolies blondes » : ainsi pourrait commencer le roman de Joann Sfar, « Le Niçois », plus connu pour son succès en bande dessinée (« Le Chat du rabbin ») et pour son film sur Serge Gainsbourg. Mais ce n’est qu’une phrase qui a servi d’accroche à son éditeur et elle donne une assez bonne idée du ton, il est vrai. On dirait du Frédéric Dard (San Antonio), du Alfonse Boudard (qui habita Nice à la fin de sa vie), ou du ADG, tiens… Pour les connaisseurs en polar des années 70-80 (ADG était le Manchette… de droite, pour résumer) : «  Excusez-moi de n’avoir pas écrit une vraie enquête sur Jacques Médecin. Mais je ne suis pas un garçon sérieux. Ma vérité se trouve chez Dino Risi (…) Sergio Leone, préviens Sfar dans son avant-propos. Finalement, je ne suis pas compétent en ce qui concerne Jacques Médecin. Mon expertise s’arrête juste à cet univers dont je rêve depuis longtemps, sur lequel règne Jacques Merenda. »
Vous ne savez pas qui était Jacques Médecin ? Ce n’est pas grave. Imaginez un mix entre Balkany (pour les casseroles), Le Pen (pour la politique que vous savez), et Pasqua et Bernard Tapie, pour la tchatche, et vous avez un homme politique hors norme, très populaire localement, qui savait slalomer entre communistes et extrême-droite. Ce roman qui se veut une  « énorme déconnade », dixit l’auteur, en dit long sur une période révolue que le terme « électoralisme » ne peut résumer. Car Jacques Médecin était avant tout niçois. Il aimait sa ville et les niçois l’aimaient. Une ville à part, un peu comme Marseille, où un électeur du Front de gauche peut rester fasciné par feu Jacques Médecin. Un personnage de roman, il est vrai. A côté duquel Christian Estrosi passe pour pâlot, c’est dire.
« Le Niçois » est une sorte de « Nice pour les nuls » mais aussi et surtout pour les initiés qui se marrent bien. Ce Niçois-là, c’est pantalonnade drôle, mordante et caustique. La caricature de toute une époque, façon retour vers le passé. Sfar invoque Sergio Leone mais on pourrait citer Tarantino et Rodriguez pour les dialogues parfois sans queue ni tête. Car il fait aussi chaud en été à Nice qu’au Mexique. Jacques Merenda-Médecin, c’est un peu « Le bon, la brute et le truand » à lui tout seul. Sfar connait bien la ville où il a grandi. Il connait aussi les romans policiers limite SAS de feu Gérard de Villiers. Et il s’est amusé à mélanger réalité et fiction, personnages inventés et réels, comme l’actuel maire, Sarkozy et sa femme Carla Bruni. Ce qui l’a intéressé c’est de décrire le rapport père-fils entre deux politiciens. Un peu comme dans les westerns : on pense à « Mon nom et personne », avec Terrence Hill et Henry Fonda. La droite d’il y a 30 ans et celle d’aujourd’hui n’est plus tout à fait la même. Quand Merenda (Médecin) revient il continue à faire tout ce qu’il faisait il y a 30 ans de son vivant. Il adorait sa ville donc les niçois lui ont pardonné tous ses pêchés. Pour lui, sa ville avait plus d’importance que le fait d’être de droite ou de gauche. Et tant qu’on votait pour lui, il aimait tout le monde. Ceux qui ne votaient pas pour lui ne l’intéressaient donc pas : « Dans un monde politique très faux cul, mettre en scène un type qui ne l’était pas m’a beaucoup amusé », a déclaré Joann Sfar dans son interview au Grand Journal de Canal +, au début de l’été.
Lui n’était ni pour ni contre le FN. Il s’en moquait… du moment qu’on votait pour lui, répétons-le. Il insiste : Médecin n’était ni raciste ni antisémite. Il s’en fichait. Le plus important c’était de rester en place. Il lui fait même dire : « Attendez, le FN n’a jamais été aussi bas que lorsque j’étais au pouvoir ». Et c’est vrai. Au quotidien, il était « formidable », explique Sfar : « Je l’ai vu descendre de voiture pour aider quelqu’un ou parler à des gens ». Comme chez Romain Gary, il aime son élégance méditerranéenne. C’était un séducteur, un homme à femmes, mais toujours avec élégance, dixit dans Nice-Matin. Mais derrière la rigolade, Sfar montre une vraie nostalgie de la vie politique niçoise de son enfance, parce qu’elle était pleine d’idées. De coups de théâtre. Ce roman appelle une suite… Joann Sfar est en train de l’écrire : il y sera question de cinéma.


Le Niçois , de Joann Sfar, 280 p, 18, 94 euros, Michel Lafon.


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