« La Nuit sur commande » : quand Christine Angot cible le monde de l’art…
- Écrit par : Serge Bressan
Par Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Le principe est simple- et bien connu : un éditeur propose à un.e écrivain.e de passer une nuit au musée- ce qui donne le titre à une collection où l’on croise, entre autres, Kamel Daoud, Lola Lafon, Lydie Salvayre, Christophe Boltanski, Richard Malka…
La proposition a été lancée à Christine Angot, elle a hésité, accepté finalement- le livre est là, titré « La Nuit sur commande ». Une fois encore avec cette écrivaine, c’est aussi abrasif qu’émouvant. « Mon titre, ‘’La Nuit sur commande’’, je l’ai trouvé tout de suite, confiait-elle récemment. Il établissait un tel lien entre la commande éditoriale de passer une nuit au musée et la commande sexuelle à laquelle je pouvais être confrontée à tout moment de la nuit entre mes 13 ans et mes 16 ans ».
Elle aurait pu choisir un musée au bout du monde- la Fondation Wallace à Londres, elle y est tombée amoureuse des « Heureux Hasards de l’escarpolette » de Fragonard ou la chapelle Cornaro de Santa Maria della Vittoria à Rome où, face à Thérèse d’Avila sculptée par Le Bernin, elle a connu l’extase. Finalement, elle a opté finalement à Paris pour la Bourse de Commerce- propriété du milliardaire François Pinault qui y expose sa collection d’art contemporain. Explication de Christine Angot : « La Bourse de Commerce, c’est l’argent, les échanges, la sociabilité qui en résulte, mais aussi la timidité qu’on peut avoir devant tout ça, parce que ça représente la classe sociale qui exerce le pouvoir, et qui fascine », qui pose toutefois une condition : être accompagnée de sa fille Léonore, légitime, pense-t-elle, parce qu’elle a suivi les cours de l’Ecole du Louvre et fréquenté la Villa Arson à Nice. Et d’assurer : « Les artistes vivants rêvent d’y être exposés, parce que ça fait monter leur cote. Parce que c’est la collection Pinault, et qu’être acheté par François Pinault est une garantie d’intérêt, de reconnaissance et de succès ».
Mais avec l’auteure de « L’Inceste » (1999), « Pourquoi le Brésil ? » (2002) ou encore « Le Voyage dans l’Est » (2021), la norme n’est pas. Ainsi, depuis toujours et ses débuts en écriture avec la parution de son premier livre, « Vu du ciel » (1990), elle s’interroge sur sa légitimité. Doute de sa place dans ce monde intellectuel où, si souvent, on s’enivre de soi-même, dans cette société du spectacle- ce qui l’a amenée à être chroniqueuse dans une émission télé où, chaque semaine, elle devait commenter et interroger de mauvais.e.s écrivain.e.s. ce qui, aujourd’hui, lui fait avouer : « Souvent, j’avais honte ». Dans « La Nuit sur commande », donc, elle aurait pu dérouler le récit de douze heures, seule (ou avec sa fille) face à des œuvres d’art. Mais Christine Angot fait peu comme les autres- et surtout pas sur commande, sous contrainte… Ainsi, elle commence à évoquer sa présence dans les murs de la Bourse de Commerce qu’à la deuxième moitié de son livre. Et elle consacre la première à des réflexions. Sur l’art. Sur son parcours de vie. Sur sa famille, ses amants, ses ami.e.s, ses connaissances… et aussi ce voyage dans l’Est, à Strasbourg où son père la violait, où sa belle-mère vit encore…
Alors, on a droit à des pages cinglantes, acides, amères… Le monde de l’art (contemporain et parisien) n’en sort pas honoré. Ainsi, Christine Angot est, pendant quelques années, « la favorite » de Sophie Calle, très souveraine Ancien Régime, avant d’être déchue parce qu’elle fréquentait Catherine Robbe-Grillet ou encore le couple Catherine Millet- Jacques Henric. Ainsi, elle publie une lettre « anonyme » postée par le journaliste-chroniqueur qui l’accompagnait dans l’émission télé et qui balance, évoquant l’inceste qu’elle a subi entre 13 et 16 ans puis jeune adulte : « Son truc d’inceste j’ai toujours eu des doutes. Ça lui fait un truc à raconter »…
En soirée, mère et fille ont dîné au restaurant de la Bourse de Commerce. Deux lits de camp ont été installés, côte à côte. Puis Léonore fait le tour des lieux en éclaireuse, Christine est assise face à la table sur laquelle il y a son ordinateur et une rame de feuilles blanches. A 1 heure 45 du matin, avec sa fille Léonore, Christine Angot quitte la Bourse de Commerce. Ce fut « sa » nuit au musée…
La Nuit sur commande
Auteure : Christine Angot
Editions : Stock
Parution : 12 mars 2025
Prix : 19 €
Extrait
« On était toutes les deux, seules dans l’espace, on descendait le grand escalier blanc, c’était une situation exceptionnelle qui n’allait pas se représenter. Je me disais que je la gâchais. On était seules au milieu de Paris dans un lieu fermé à clé, où on avait eu l’autorisation d’entrer, qui contenait des œuvres exceptionnelles. Qu’est-ce que j’en faisais ? Rien. Je descendais l’escalier pour aller prendre l’ascenseur qui menait au restaurant. Dans le miroir de l’ascenseur, Léonore a pris une photo de nous : je suis de dos, je la serre contre moi, elle est de face, le bras tendu qui tient l’appareil ».
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