Olivier Costes : "J’ai voulu faire entendre le rire des deux poètes Verlaine et Rimbaud"
- Écrit par : Julie Cadilhac
Propos recueillis par Julie Cadilhac - Lagrandeparade.com/ Des deux grands poètes, Rimbaud et Verlaine, l'école nous a surtout transmis des vers heureux ( ou déprimés...) sculptés avec une précision d'orfèvre et loués comme tels.
Beaucoup moins savent que les deux hurluberlus, à leurs heures perdues ( qui constituaient la majorité de leurs journées, oisives à souhait et imbibées d'absinthe et autres plaisirs coupables), ont vécu une passion tourmentée et qui multiplia les scandales de leur vivant tant la provocation, décomplexée et sans limite, était la posture du plus jeune des deux amants. Olivier Costes narre dans Odieux Adieux l'histoire de cette rencontre explosive de 1871 à 1873. On y découvre ainsi un personnage ignoré par l'Histoire, la femme de Verlaine, Mathilde, et l'auteur - qui s'est longuement documenté avant - met en scène ce "trouple" dissonant qui exista malgré lui et ne laissa aucun de ses membres indemne. Une lecture délicieuse de bout en bout tant l'écriture est vive, fluide et pétrie d'espiéglerie, les portraits des deux poètes sont truculents et surprenants et s'y mêlent le poétique et le discordant, l'élégant et le crapuleux, l'idéal et le spleen! Une "barjographie" passionnante!
Nous sommes ravis de converser ici avec Olivier Costes autour d'Odieux Adieux qui vous convaincra ici encore mieux que nous de la qualité de son travail et sensibilisera également les enseignants des exploitations pédagogiques multiples et pertinentes qu'on peut faire de cette biographie romancée au lycée ou à l'université.
Souvent l’on se dispense, plus ou moins à raison, de la lecture de la préface d’un roman. La vôtre est pourtant essentielle car elle invite à réfléchir sur les relations troubles entre la culture et le politique…pourriez-vous, en quelques mots, expliquer à nos lecteurs ce qui vous a donné l’impulsion de ce livre ?
Ajouter un avant-propos m’a paru nécessaire pour éclairer ma démarche. On ne s’attaque pas à des monuments comme Verlaine et Rimbaud sur un coup de tête. Mille et une biographies ont été écrites à leur sujet. D’éminents exégètes, Rimbaldiens ou Verlainiens, ont décortiqué leur œuvre avec minutie. Je devais donc trouver un angle original pour oser écrire à leur sujet. Comme je suis un grand fan de Verlaine – dont j’admire la simplicité, la délicatesse et le sens de la mélodie –, le débat suscité par le projet de sa panthéonisation conjointe avec Rimbaud m’a passionné. Grâce à lui, j’ai découvert des éléments de sa vie que j’ignorais totalement. Notamment, le fait qu’il était marié à Mathilde, une jeune femme du même âge que Rimbaud, enceinte de surcroit. Et lorsque Rimbaud est venu de ses Ardennes pour rencontrer Verlaine à Paris, ce n’est pas le poète saturnien qu’il a découvert en premier, mais sa femme. Ce quiproquo, peu relaté dans la documentation abondante que j’ai explorée, m’a donné un excellent point de départ. Ensuite, j’ai lu les mémoires écrites par Mathilde dans lesquelles elle décrit ce qu’elle a subi pendant son mariage. Grâce à elles, j’ai compris que la relation entre Verlaine et Rimbaud dépassait largement le cadre d’un couple homosexuel. Il s’agissait en réalité d’un « trouple », comme on dit aujourd’hui. Un triangle amoureux sulfureux, indécent et incandescent où la présence de Mathilde éclaire bien des zones d’ombre. Grâce à elle, on comprend mieux pourquoi les Fêtes galantes se terminent en Saison en enfer. De plus, les tourments profonds que ces trois personnages ont vécu à la fin du XIXè siècle résonnent fortement avec les préoccupations contemporaines : violences conjugales, rapport à la notoriété, addiction aux produits toxiques, sexualité débridée, dissociation entre l’œuvre et l’artiste, et question du genre.
[bt_quote style="default" width="0"]J’ai lu les mémoires écrites par Mathilde dans lesquelles elle décrit ce qu’elle a subi pendant son mariage. Grâce à elles, j’ai compris que la relation entre Verlaine et Rimbaud dépassait largement le cadre d’un couple homosexuel. Il s’agissait en réalité d’un « trouple », comme on dit aujourd’hui. Un triangle amoureux sulfureux, indécent et incandescent où la présence de Mathilde éclaire bien des zones d’ombre. Grâce à elle, on comprend mieux pourquoi les Fêtes galantes se terminent en Saison en enfer. De plus, les tourments profonds que ces trois personnages ont vécu à la fin du XIXè siècle résonnent fortement avec les préoccupations contemporaines : violences conjugales, rapport à la notoriété, addiction aux produits toxiques, sexualité débridée, dissociation entre l’œuvre et l’artiste, et question du genre.[/bt_quote]
Si Rimbaud et Verlaine ne méritent pas le Panthéon, qui Olivier Costes y mettrait-il, s’il avait ce pouvoir ?
Désolé, mais je vais botter en touche. D’abord, ce n’est pas que Verlaine et Rimbaud ne méritent pas le Panthéon, c’est qu’eux-mêmes auraient refuser d’y prendre place. Ils avaient en horreur les hommages institutionnels. « On rit de tant de bêtise solennelle » écrivait Verlaine lors de la panthéonisation de Victor Hugo. De plus, ils n’ont pas besoin de cette sacralisation républicaine pour être célébrés dans le monde entier.
Dans mon Panthéon personnel, il y a beaucoup d’auteurs, de chanteurs, de cinéastes, de peintres, de scientifiques. Parmi eux, je vais citer Pierre Desproges pour m’en sortir avec une pirouette : « Les décorations, c’est comme les bombes, ça tombe toujours sur ceux qui le méritent le moins. »
C’est quoi une barjographie pour Olivier Costes ?
C’est le récit documenté de deux barjots qui dérapent jusqu’à la folie avec les patins de la poésie. Rien à voir avec une hagiographie. Le concept de barjographie permet de situer la particularité d’« Odieux adieux » : une biographie romancée pimentée par des dialogues humoristiques qui utilisent la langue verte de la fin du XIXème siècle. Car Verlaine et Rimbaud raffolaient des canulars potaches (souvent de mauvais goût) et aimaient pratiquer ce qu’ils appelaient le « comique lugubre ». J’ai voulu faire entendre le rire des deux poètes, car je ne l’ai pas beaucoup perçu dans les multiples biographies que j’ai lues.
[bt_quote style="default" width="0"]Une barjographie, c'est le récit documenté de deux barjots qui dérapent jusqu’à la folie avec les patins de la poésie. [/bt_quote]
Dans cette histoire, vous mettez en avant un « trouple »… et Mathilde y est de loin le personnage le plus sympathique. "Odieux Adieux", roman féministe ?
Mathilde est à la fois la muse et l’abusée de Verlaine. Elle est la source des déchirements du Saturnien, écartelé entre le ronron bourgeois de sa vie conjugale et l’appel au dérèglement de tous les sens. Toute sa vie, Mathilde a été méprisée par le milieu intellectuel parisien. Ces hommes de lettres (100% masculins) ont nié sa parole et discrédité son témoignage en l’accusant d’être uniquement inspiré par l’aigreur et le désir de vengeance. Pour la punir, ils ont violemment projeté Mathilde dans les oubliettes de l’Histoire. J’ai essayé de réparer cette injustice. Dans ce sens, oui, « Odieux adieux » est féministe.
[bt_quote style="default" width="0"]Toute sa vie, Mathilde a été méprisée par le milieu intellectuel parisien. Ces hommes de lettres (100% masculins) ont nié sa parole et discrédité son témoignage en l’accusant d’être uniquement inspiré par l’aigreur et le désir de vengeance. Pour la punir, ils ont violemment projeté Mathilde dans les oubliettes de l’Histoire. J’ai essayé de réparer cette injustice. [/bt_quote]
Pourquoi avoir fait le choix de chapitres aussi courts ?
Parce que je voulais donner du rythme au récit afin qu’il soit conforme à la vie des personnages qui vivaient leurs aventures à 100 à l’heure. Pour cela, j’ai enlevé beaucoup de phrases et de descriptions que je trouvais jolies mais qui avaient l’inconvénient de ralentir l’action. Il a fallu que je me fasse violence parfois, mais, au final, je suis content du résultat. Car la plupart des lecteurs me disent qu’ils ont lu « Odieux adieux » d’une traite, sans jamais s’ennuyer.
Les mères des deux poètes et de Mathilde ont aussi voix au chapitre… A quel point leur personnalité est-elle fidèle à la réalité ?
J’ai eu accès aux correspondances privées de mesdames Verlaine et Rimbaud. D’ailleurs, j’en ai cité quelques extraits in extenso dans le livre afin d’être au plus près de leur vérité. Toutes les deux cherchent en permanence à réparer la vaisselle cassée par leurs fils. Cela tout en essayant de les remettre dans le « droit chemin » et de les consoler. C’est une assez bonne définition de l’amour maternel. Leur présence apporte une note de douceur dans le chaos provoqué par Verlaine et Rimbaud.
Quel est votre personnage préféré dans cette fiction…et pourquoi ?
C’est Raymond, le perroquet de la belle famille de Verlaine. Ce Gris du Gabon aux expressions croquignolesques est le baromètre de l’influence de Rimbaud sur Verlaine. Au départ, les phrases qu’il prononce sont assez sages, puis son langage se pervertit au point de devenir grossier et blasphématoire. Il me plaît par sa naïveté et par la dimension comique qu’il apporte à certaines scènes. Je précise que ce personnage est une invention de ma part.
Quelles idées aviez-vous sur Verlaine et Rimbaud avant ce roman ? Avez-vous souvenir d’un document, d’une lettre qui vous a particulièrement fait changer de regard sur ce/ces poètes ?
Je connaissais surtout la poésie de Verlaine. En particulier les « Poèmes saturniens » et les « Fêtes galantes ». Comme beaucoup, je ne savais pas grand-chose de lui, à part qu’il était alcoolique et qu’il avait eu une aventure avec Rimbaud. Je l’imaginais doux et non violent. C’est dire si je me trompais !
Quant à Rimbaud, je connaissais peu ses écrits que je trouvais abscons et difficiles d’accès. Le premier choc les concernant a été la lecture des mémoires de Mathilde Verlaine. Un témoignage stupéfiant qui m’a bouleversé et parfois, révolté. Alors j’ai mené ma petite enquête et suis allé de surprises en effarements. L’autre point qui m’a beaucoup frappé, c’est l’histoire des bocaux. Ces petits aquariums funéraires où flottaient les fœtus avortés de la fratrie de Paul Verlaine. Conservés par sa mère sur une étagère du salon, ils sont probablement à l’origine des désordres psychiques du poète. L’anecdote est abracadabrantesque dirait Rimbaud, mais elle est authentique. Et éclairante.
[bt_quote style="default" width="0"]L’autre point qui m’a beaucoup frappé, c’est l’histoire des bocaux. Ces petits aquariums funéraires où flottaient les fœtus avortés de la fratrie de Paul Verlaine. Conservés par sa mère sur une étagère du salon, ils sont probablement à l’origine des désordres psychiques du poète. L’anecdote est abracadabrantesque dirait Rimbaud, mais elle est authentique. Et éclairante. [/bt_quote]
On ne les voit plus du tout pareil les deux lascars poétiques à la fin de votre livre... étaient-ils à ce point lubriques, irresponsables, vulgaires… et fainéants ?
Oui, ils l’étaient ! Chacun à leur manière. Verlaine était aussi timoré et mélancolique que Rimbaud était colérique et provocateur. Tous les témoignages des personnes qui les ont côtoyés le confirment. Mais ils n’étaient pas que cela. Rimbaud était un punk avant l’heure. No futur ! Totalement incontrôlable avec une sacrée dose de complexité psychique et artistique. Et une culture abyssale. Sa multiplicité est à la fois mystérieuse et fascinante. Mais si les deux hommes se comportaient souvent comme des crapules, leurs œuvres restent d’une beauté magique. La connexion intense et fulgurante de ces deux génies est unique dans l’histoire de la littérature.
[bt_quote style="default" width="0"]Rimbaud était un punk avant l’heure. No futur ! Totalement incontrôlable avec une sacrée dose de complexité psychique et artistique. Et une culture abyssale. [/bt_quote]
Quelles ont été vos sources documentaires pour ce roman ? Y avez-vous eu accès facilement ?
Elles sont très variées : biographies, mémoires de Verlaine et de sa femme, correspondances privées entre Verlaine et Rimbaud, conférences, témoignages des amis et de leurs mères, compte-rendu du procès de Verlaine, dictionnaires de l’argot de l’époque (trouvés à la BNF). Comme je suis insomniaque, j’ai aussi passé de nombreuses nuits à écouter les podcasts passionnants de France Inter et de France Culture. Toutes ces sources sont assez faciles d’accès. Le plus compliqué est de les recouper, de les digérer et de les trier.
Pourquoi la biographie de Mathilde est-elle restée toujours sous silence ? Pour ne pas écorcher le génie ? Ou parce qu’elle était une bourgeoise pas assez lettrée ?
On lui a reproché de vouloir salir l’image du Prince des Poètes par cupidité, dans le but de lui réclamer la pension la plus lucrative lors de son divorce. Tout cela est faux. C’est l’illustration parfaite des dérives d’un patriarcat qui veut museler les femmes sans jamais se remettre en question. Mathilde n’était peut-être pas une grande intellectuelle, mais elle était cultivée et se passionnait pour la musique, la peinture et la littérature.
Est-ce que ce travail vous a donné envie d’aller chercher d’autres biographies sulfureuses aux victimes collatérales passées sous silence ?
Si je trouvais un sujet aussi surprenant et méconnu, pourquoi pas ? Mais comme j’ai toujours envie d’aller là où je n’ai pas encore mis la plume, mon prochain roman sera un polar contemporain.
Les extraits de correspondances entre Verlaine et Rimbaud sont-ils totalement de votre plume ?
Je n’ai pas, ou très peu, retouché leurs correspondances. J’ai parfois été tenté de le faire car, lorsqu’ils s’envoyaient des messages, Rimbaud et Verlaine écrivaient comme des cochons. Leur correspondance privée n’a aucune dimension littéraire. En revanche, elle est riche en informations concernant leurs préoccupations quotidiennes et leurs innombrables disputes.
[bt_quote style="default" width="0"]Je n’ai pas, ou très peu, retouché leurs correspondances. J’ai parfois été tenté de le faire car, lorsqu’ils s’envoyaient des messages, Rimbaud et Verlaine écrivaient comme des cochons. [/bt_quote]
Comment avez-vous travaillé pour mener à bien cette barjographie ? Les poèmes des deux compères ont-ils été le canevas autour duquel s’est élaborée cette tentative de reconstitution de la vie de Rimbe, Mathilde et Verlaine de 1871 à 1873 ?
Je lisais leurs recueils en parallèle avec leurs biographies. Des connexions entre leurs événements privés et leurs poèmes m’ont souvent sauté aux yeux. Elles révèlent leur incroyable capacité à sublimer par l’écriture un réel pas toujours glorieux.
[bt_quote style="default" width="0"]Leur incroyable capacité à sublimer par l’écriture un réel pas toujours glorieux. [/bt_quote]
Olivier Costes est, on le sait, un maître des jeux de mots : naissent-ils spontanément au fil de l’écriture ou avez-vous un carnet où vous les notez quand ils surgissent à l’impromptu ?
Étant un fidèle lecteur du Canard Enchaîné, et un grand admirateur de Michel Audiard et d’Alexandre Astier, j’ai un faible pour l’absurde et les jeux de mots. Ils me viennent assez naturellement, même s’il est vrai que je note régulièrement dans des carnets des idées d’expressions drolatiques. Car j’adore les dialogues. Ils donnent du rythme au récit et permettent des mises en scène théâtrale. Mais point trop n’en faut : les jeux de mots doivent être au service de la situation et de la psychologie des personnages.
C'est le genre de bouquin qu'on recommanderait chaudement aux professeurs de lycée et de faculté de lettres...vous y avez pensé ?
J’ai écrit ce livre parce que j’avais envie de transmettre mes découvertes aux lecteurs. C’est d’ailleurs l’une des grandes joies de l’écriture que d’offrir du savoir. En ce qui concerne Rimbaud et Verlaine, j’ai appris des choses incroyables dont on ne parle jamais à l’école. Alors, si le livre pouvait susciter l’intérêt des lycéens et des étudiants en les incitant à lire de la poésie, j’en serais ravi !
Dernière question : c'est un grand débat, souvent remis sur le tapis, que la nécessité de séparer l'artiste de son œuvre... cependant cet ouvrage éclaire d'un nouveau jour ce questionnement il me semble. Les poèmes de Verlaine et de Rimbaud, à la lumière de leur vie dissolue, ne s'interprètent plus de la même manière non ?
C’est par l’intime que l’on touche à l’universel. Donc, oui, entrer dans la vie privée d’un.e artiste donne des clés ouvrant sur certaines portes cachées de son œuvre. Ce n’est pas indispensable pour en ressentir les émotions, mais c’est un bonus de compréhension. Le texte a toujours un contexte. La vie d’un homme ou d’une femme est faite de vices et de vertus, de doutes et de rêves contradictoires. La beauté d’une œuvre réside dans la manière dont ces sentiments tantôt sombres, tantôt lumineux, sont transposés dans un geste artistique. Au public d’exercer son esprit critique. On peut tout à fait condamner les vices de Verlaine et de Rimbaud, et continuer d’être émerveillé par leurs vers sublimes.
[bt_quote style="default" width="0"]Au public d’exercer son esprit critique. On peut tout à fait condamner les vices de Verlaine et de Rimbaud, et continuer d’être émerveillé par leurs vers sublimes.[/bt_quote]
Odieux adieux
Editions : Fauves
Auteur : Olivier Costes
Prix : 20€
Date de parution: 2 mai 2023
Crédit-photo : Richard Sprang
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