Les cerveaux cassés : l’extraordinaire bataille d’un plicaturé vertébral contre un désaxé médical
- Écrit par : Julie Cadilhac
Par Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ « Le 15 mars 1916, bombardement intense sur le bois des Corbeaux et de la côte de l’Oie. Bataillon pulvérisé, enseveli. Soldat de deuxième classe Delprat, seul survivant.
Secouru par les brancardiers qui l’ont retrouvé figé en position foetale. Arrivé au poste en état de choc, après perte de connaissance d’environ une heure. Syndrome des éboulés. Plaies superficielles à la tête, au cou, et aux membres inférieurs. Parle peu. Refus d’aliments. Fait des cauchemars dans lesquels il appelle son frère, le soldat Désiré Delprat tué à ses côtés lors de l’explosion. Se plaint de violentes douleurs dans la région des lombaires et des abdominaux. Tronc fortement incliné en avant. Contracture persistante qui a contraint les infirmiers à découper son uniforme pour le dévêtir. Examiné par mes services pour un lumbago traumatique. Aucune lésion détectée à la radiologie, ni de la colonne, ni des vertèbres. Refuse de se tenir droit. Prétend avoir perdu la mémoire. Demande à être réformé. Suspect de simulation. » Tel est le rapport que reçoit le docteur Courant dans son hôpital temporaire n°54… Un nouveau cas passionnant pour ce médecin tyrannique qui reçoit les blessés de la Grande Guerre aux pathologies psychiques singulières. Un bataillon de traumatisés que le docteur Courant entend redresser! En effet, que des simulateurs assurément dans cette tripotée de gaillards qui manquent de courage, des fillettes qui pleurent aux premiers bobos! Alors pour redonner le sens des responsabilités et de la patrie à ces soldats qui auraient soi-disant perdu la tête au front et qui font semblant de jouer aux fous pour déserter le champ de bataille, il a imaginé une électrothérapie qu’il juge efficace. Cette méthode, vous l’aurez compris, se rapproche davantage de la torture que du traitement médical…mais le dispositif est en place et s’applique dans une mécanique routinière effrayante…jusqu’à qu’un des patients récalcitrant refuse de se prêter à cette solution médicale…
Inspiré de faits réels, ce roman évoque l'histoire peu connue des traumatisés psychiques de la Grande Guerre. Olivier Costes y manie la langue avec une dextérité sans pareille, multipliant les jeux de mots à loisir et esquissant le portrait de personnages saisissants qui restent en mémoire. Du médecin-boxeur Vincent Courant à Amédée Delprat et son lézard Balthazar, d’Ernest Phellogène apothicaire éthylique au félé Hippolyte, de Nestor Fardou électricien unijambiste à madame Delalande épouse du préfet, de Soeur Dominique à la pomme d’Adam à messieurs Dargaud, Pieur et Briond…
On vous prévient toutefois…si c’est diablement spirituel et que s’enchaînent des scènes d’une grande drôlerie - on imaginerait bien d’ailleurs ce roman adapté au cinéma! - on rit jaune et souvent même certaines scènes sont insoutenables tant l’on garde bien à l’esprit la réalité terrible de ce type d’exactions. Olivier Costes nous invite à plonger dans une cour des miracles où vivent des individus étranges aux comportements si loufoques qu’ils prêtent à sourire mais dépeint également avec acuité la bêtise à laquelle peut conduire l’obéissance aveugle à une idéologie, le manque de compassion et la course aux honneurs. Et lorsqu'il est l’heure de chanter l’hymne à la torpille « Allons enfants de la batt’rie, Le jour de gloire est arrivé! Contre nous de la tricherie Il est trop tard , rien n’sert de simuler! », l’on grince des dents, doublement dans l’actualité de ce mois de novembre 2018 peut-être où l’on songe à rendre hommage à un chef qui envoyait de pauvres hères servir de chair à canon à cette connerie de guerre qui n’a jamais rien résolu.
Les cerveaux cassés? Un excellent roman où l’on apprécie de croiser le thérapeute Meyer aux méthodes avant-gardistes de psychanalyse douce et deux ( tout petits mais délicieux) rôles de femmes lumineuses. A (s’)offrir!
Rencontres:
- Le vendredi 16 novembre de 17h30 à 19h à la librairie Sauramps - Montpellier ( 34)
« C’est quoi l’espoir, papa?
- C’est croire au langage des arbres et au sourire des fleurs. »
Alors elle a couru avec sa soeur cueillir un bouquet de fleurs sauvages près de la rivière qui danse sous les châtaigniers. Elles me l’ont offert comme si j’étais le gagnant d’une étape du tour de France.
« Tiens, tu les emporteras là -bas.
- Où ça?
- Bah, à la guerre! »
Mes filles croyaient que j’allais détruire l’armée allemande à moi tout seul et que je serai revenu avant que le bouquet ait eu le temps de faner. »
Les cerveaux cassés - Vol au-dessus d’un nid de poilus
Auteur : Olivier Costes
Editions : Fauves
Prix : 17
Parution : 20 septembre 2018
216 pages