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Jean Paulhan : une pure littérature, humble et maîtrisée, sobre et sensible

  • Écrit par : Catherine Verne

PaulhanPar Catherine Verne - Lagrandeparade.fr/ C'est écrit à l'ancienne, au début du XXè siècle, c'est dire: une éternité nous en sépare. On n'y pense pas, n'y ressent pas, n'y observe pas le monde ou la vie sur le mode de l'urgence ulcérée, et on n'y compose pas dans un esprit de consommation-négation du verbe sacrifié sur l'autel de l'histoire. Le contraire du fast-food de la littérature en somme, et loin des décors électrisés ou surexposés actuels qui dispensent la conscience de vertiges nécessaires. C'est simple, c'est là, c'est frais; on a envie de s'y installer un long moment. Contraste impressionnant avec la hâte vaine et le plat sensationnel d'une certaine écriture en vogue. Aussi la plume est-elle douce, d'une présence qui ignore l'agressivité, aussi l'espace respire-t-il, rural essentiellement, forestier, et la durée s'ouvre sans frontière, étirant celle de l'attente de l'être aimé ou de la contemplation. Pas de limite à l'impression de paix ici, sinon celle d'un généreux imaginaire. Il faut lire cet ouvrage en revenant du travail, dès le tram, ou à peine retrouvé son canapé, pour se déconnecter à coup sûr de tous les facteurs de stress urbain ou moderne. Alors, par enchantement, on suit le rythme d'une écriture fraîche et claire, qui raconte un quotidien de tranchée, les aventures enchantées d'une fille dans les sous-bois, et l'apprentissage appliqué d'un jeune amant. Les thèmes traités à l'occasion annoncent pourtant une certaine gravité: il est question de la Guerre de 14, de mort ou de déboires amoureux. On frémit pour de jeunes garçons dînant de sardines dans les tranchées humides ou nettoyant leurs fusils tandis que sifflent partout des balles dont l'impact à travers le treillis claque comme une mauvaise piqûre d'araignée. On arrête la lecture et le souffle sur un détail, tel ce moment où ils jettent de la terre sur le cadavre d'un soldat tremblant sous chaque pelletée. Pas de parti pris, pas d'héroisme, pas de drame. Une attention à ce qui est. Et l'on sort meilleur de tout choc ainsi accueilli, de quel qu'ordre qu'il s'avère, à croire même que c'est par heurts qu'on grandit le mieux, sans doute au sens où toute violence contient sa part de "vie". C'est que, dépeint par Jean Paulhan, le pire s'allège, la perte s'intègre dans l'ordre des choses, la frustration s'évanouit au fil de l'eau qui lave de tout, car tout est enseignement à qui sait accueillir. Cet ouvrage constitue ainsi une vivifiante illustration de lâcher-prise face aux aléas de la vie car le narrateur et tous les personnages vivent ce qui advient sans dépit ni haine, sans jugement ni orgueil, personne ne se coupant jamais du courant harmonieux où tout trouve sa juste et paisible place. Le style, comme le flux de l'existence, coule, fluide. Certes, sa transparence apparente cache une ingéniosité virtuose, recourant à l'amphibologie syntaxique ou à l'hyperbate selon. C'est qu'on a affaire à l'académicien qui fut directeur littéraire pour les Editions Gallimard, dont la collection "Imaginaire" honore le présent ouvrage. Comme cela fait du bien de lire une pure littérature, humble et maîtrisée, sobre et sensible à la fois! Comme cela repose de l'agitation grossière du monde, que s'immerger dans trois courts récits dont la lecture ne se contente pas de distraire vite fait mais parvient à émouvoir, tellement la prose est belle! Voilà de l'art, de l'authentique, pour puristes et lecteurs d'histoire exigents, et qui acceptent de ne pas se presser.

Le guerrier appliqué ; progrès en amour assez lents ; Lalie
Auteur: Jean Paulhan
Editeur: Gallimard
Parution: 25 janvier 2016
Prix: 8,50 euros


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