Comme elle l’imagine : amour 2.0 selon Stéphanie Dupays
- Écrit par : Serge Bressan
Par Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Des mots au hasard des pages : « C’était tellement ridicule de s’emballer pour un quasi-inconnu ». Oui, tellement ridicule… Pourtant, c’est ce qui est arrivé à Laure, bientôt 40 ans, maître de conférence à la Faculté, spécialiste de l’œuvre de Gustave Flaubert et réputée posée et discrète. Par l’intermédiaire des réseaux sociaux, elle va faire la connaissance de Vincent. Ils partagent le goût des vieux films noir et blanc et de la littérature. Voilà, c’est « Comme elle l’imagine », deuxième roman de Stéphanie Dupays qui, en 2016, avait effectué des débuts remarqués dans le monde des livres avec « Brillante », belle plongée dans le monde du travail et de l’entreprise. Cette fois, elle scrute encore la société contemporaine mais passe dans la sphère du privé, de l’intime. Avec un sens joliment aigu, parfaitement aiguisé, elle décrypte les amours virtuelles. C’est l’amour 2.0…
En page de garde, parmi trois citations, une de l’écrivaine mexicaine Angeles Mastretta extraite de « Mujeres et ojos grandes » : « Elle est tombée amoureuse comme tombent amoureuses toutes les femmes intelligentes : comme une idiote ». Oui, Laure est toute retournée, tourneboulée par cette relation virtuelle. A peine rentrée chez elle, elle se précipite sur son téléphone. Le consulte. Veut savoir si Vincent est disponible… C’est devenu viscéral. Quasiment une addiction. Le téléphone ne lui suffit plus. Elle scrute la page Facebook de Vincent, trentenaire. Analyse, interprète les photos, les « like », tire des conclusions et espère ainsi connaître un peu plus, un peu mieux Vincent. Tout fait, pour elle, signe… Vincent comme elle l’imagine… A la lecture, on apprend que « Laure aimait les hommes inquiets : pas les angoissés englués dans leurs phobies, juste les hommes un peu inquiets. Les hommes qui regardaient par la fenêtre s’éloigner l’amour de leur vie, les hommes marchant seuls sur des plages en hiver, les hommes buvant un whisky au comptoir d’un bar d’hôtel d’une ville étrangère où ils ne connaissaient personne. Sautet ou Rohmer en avaient souvent fait leurs héros ». Et aussi : « Face à son béguin virtuel, ces hommes n'avaient aucune chance car ils étaient réels alors que Vincent était une idée façonnée par Laure à l'image exacte de son désir ».
Dans ces échanges, Laure s’y sent bien. La relation est virtuelle, qu’importe ! elle est amoureuse- du moins, elle pense être amoureuse. Laure et Vincent ne se sont jusqu’alors jamais vraiment rencontrés : « Laure avait des mots d’amour mais pas les preuves : Vincent n’évoquait jamais de date pour une prochaine rencontre. Et ce décalage entre les paroles et les actes la perturbait. Les messages maintenaient un lien entre eux, mais ils rendaient aussi la distance plus palpable et transformaient Vincent en une divinité inaccessible ». « Comme elle l’imagine » pose la question : peut-on vivre et se contenter d’une relation virtuelle, même si l’on éprouve quelque plaisir de l’instant à la réception de messages sur l’écran du téléphone portable ? Les codes de l’amour ont changé avec le Net et les réseaux sociaux- sait-on si c’est une histoire d’amour ou non ? L’immédiateté de l’échange, du dialogue a tout bouleversé, bousculé, comme d’une écriture aussi classique que lumineuse le montre Stéphanie Dupays. Qui pointe : « Ça pourrait être le but d'une vie, trouver son Atlantide, se la fabriquer, ou au moins un endroit à soi qui y ressemble ». Existe-t-elle vraiment ou n’est-ce qu’un mirage virtuel ? Faut-il inévitablement sortir de la virtualité, replonger dans la réalité, cette fameuse « IRL » (« In Real Life »), cette vraie vie qui, seule, dira si cet amour est réel ou juste une illusion…?
Comme elle l’imagine
Auteur : Stéphanie Dupays
Editions : Mercure de France
Parution : 7 mars 2019
Prix : 16 €