Violette Morris : l’insubmersible femme qui court
- Écrit par : Valérie Morice
Par Valérie Morice - Lagrandeparade.com/ Le destin de Violette Morris aurait-il été tout autre, si elle n’avait pas subi un viol à 17 ans durant ses années de pensionnat ? C’est ce que sous-entend le livre de Gérard de Cortanze « Femme qui court », inspiré de la vie de ce véritable personnage de roman.
Le manque d’amour manifeste de ses parents pour elle, conjugué au désir de vengeance envers les hommes suite à cette agression, vont la mener au dépassement de soi (« face à cette vie qui lui pesait tant, elle comprenait qu’elle ne pourrait y faire face qu’en se dépassant sans cesse ») et c’est par le sport qu’elle va se sublimer. La douleur et la souffrance générés par l’effort musculaire (allant parfois jusqu’à l’épuisement) vont lui apparaître aussi intense et jouissif que l’amour physique.
[bt_quote style="default" width="0"]Elle dégageait une telle image de force et de puissance, qu’on la croyait insubmersible, comme ce fameux Titanic.[/bt_quote]
Jamais à court de défis, assoiffée de compétition, véritable boulimique, elle va s’adonner et participer à toutes les activités sportives qui vont se présenter devant elle (boxe, football, water-polo, lancer de poids, natation, javelot, course de vitesse, course automobile, l’haltérophilie, cyclisme…), jusqu’à ce que, dans les années 30, considérée comme « un danger moral pour la jeunesse Française », sa licence lui soit retirée.
La boxe fut le premier sport qui se révéla à elle comme l’ultime moyen de « mettre sa violence en cage ». Il faut savoir que nous sommes à l’orée de la première guerre mondiale, la boxe pour une femme est associée à de la prostitution, les combats féminins se font seins nus, la poitrine est perçue comme quelque chose de « répugnant ». Son look androgyne va déstabiliser la gent masculine et le puritanisme ambiant d’une société patriarcale.
Elle fume la pipe, boit du cognac et du whisky. Les hommes (surtout les journalistes masculins) ne lui épargnent aucun qualificatif misogyne : « femme qui aime les femmes », « femme-homme », « femme à abattre », « originale à l’allure d’homme ». On la voit comme un homme ? Soit, elle décidera donc, par provocation (et aussi afin que le volant lui laisse plus d’espace lors des courses automobiles) de subir une double mastectomie.
Devant combattre l’injustice (les hommes peuvent tout faire et les femmes rien), elle trouvera en Joséphine Baker une alliée sûre. Alors que Violette est « mise au ban de la société parce qu’elle est lesbienne », Joséphine, surnommée « La Négresse », doit quotidiennement essuyer les moqueries racistes, consciente de n’être qu’une bête de foire (ce que Violette deviendra plus tard lorsqu’elle se lancera, idée farfelue, dans le cabaret).
A l’aube de la guerre, délaissée par Jean Cocteau et Jean Marais, mise au placard pour son fort caractère soupçonné de leur porter préjudice dans le monde du music-hall, elle va accepter (se sentant protégée par sa gloire passée mais non sans parfois douter de son engagement) de collaborer avec la Gestapo en tant qu’espionne et conductrice pour des dignitaires Allemands. La « pute à la solde des Allemands », « espionne de la Gestapo » se fera assassiner « par erreur » alors qu’elle convoyait, laissant derrière elle, plusieurs théories complotistes que l’auteur énumère à la fin du roman.
Gérard de Cortanze décrit le monde sportif de l’époque avec beaucoup de véhémence, n’hésitant pas à égratigner au passage un Pierre de Coubertin digne représentant de la misogynie du milieu sportif, qui n’hésita pas à affirmer que le sport « virilisait » les femmes et leur « ôtait le goût à la maternité ». Si l’important est de participer, les femmes n’ont en tout cas pas leur place dans les stades.
« Femme qui court » est avant tout l’histoire de celle qui a choisi de vivre ses passions jusqu’au bout, que ce soit de manière sportive ou charnel, avec un je m’en foutisme exceptionnel, insubmersible, remontant toujours à la surface quoi qu’on lui fasse subir ou qu’on pense d’elle. Galvanisée par les injustices, elle n’aura de cesse de faire le contraire de ce qu’on lui dira. Femme de caractère et courageuse, elle divise beaucoup depuis la sortie de ce roman.
Doit-on s’attarder sur le parcours exceptionnel d’une sportive lesbienne qui avait choisi de vivre comme un homme, ou sur sa collaboration gestapiste ? L’un est-il dissociable de l’autre ? Son passé d’espionne doit-il pour autant dévaloriser et remettre en question ses exploits sportifs ?
Il est de bon ton de rappeler que cette histoire est un roman basé sur des « hypothèses, des démonstrations, des pistes et des témoignages ». Le mythe Violette Morris, a récemment poussé l’auteur à demander un droit de réponse au magazine Lire au sujet d’un article paru le mois dernier, dans lequel on lui reprochait d’avoir volontairement occulté le passé de Violette Morris « la tortionnaire de résistantes » ; or à ce jour, il n’a jamais été prouvé qu’elle avait fait partie d’une bande de pro-nazis.
« Femme qui court » est LE livre à lire pour qui aime les femmes anticonformistes qui en ont dans le pantalon. L’auteur livre le portrait puissant d’une femme dont on sent d’entrée de jeu qu’elle l’a touché, tout en restant cependant objectif. On imagine aisément un film adapté de la vie de cette héroïne méconnue qui restera une légende et un exemple pour la cause féministe.
Violette Morris - Femme qui court
Editions : Albin Michel
Prix : 22,90€
416 Pages
Parution: 2 janvier 2019
A lire également Violette Morris en BD :
Violette Morris tome 1 - À abattre par tous moyens, aux Editions Futuropolis.