Sérotonine : Michel Houellebecq, c’est quand le bonheur ?
- Écrit par : Serge Bressan
Par Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Première page, premiers mots : « C’est un petit comprimé blanc, ovale, sécable ». Le narrateur confie en prendre un le matin, vers cinq heures ou parfois six… Un comprimé de Captorix, empli de sérotonine- la fameuse hormone du bonheur. Cette molécule qui donne titre au septième roman de Michel Houellebecq, 62 ans (ou peut-être 60, le flou est savamment entretenu), sous antidépresseurs (info ou intox ?) et nommé « enfant terrible des lettres françaises ». Pour faire court, on dira que ce livre est l’événement de la rentrée littéraire de cet hiver 2019 par son premier tirage (320 000 exemplaires mis en vente en France), son plan marketing et son battage médiatique- pour les qualités littéraires de « Sérotonine », c’est un autre débat !
Donc, comme souvent chez Houellebecq tout à sa noirceur existentielle et chantre du nihilisme, on a un (anti) héros qui joue à fond la désabusion. Florent-Claude Labrouste a 46 ans, il bosse pour Mosanto puis largue son job, il a une épouse japonaise aussi perverse que froide et acide qu’il va quitter quand il découvre sur son téléphone portable des vidéos de gang-bang et autres partouzes avec chiens, il prend le large, se pose dans un des rares hôtels parisiens qui, dans ses chambres, accepte encore les fumeurs, pense à ses conquêtes féminines passées, retrouve un ancien pote nobliau de province reconverti paysan qui va mener la révolte sur des ronds-points, espère sans trop y croire vivre à nouveau le grand amour… Evidemment, tous les grands classiques sont au rendez-vous dans « Sérotonine ». La question fondamentale : c’est quand le bonheur ? Le personnage principal parfait en anti-héros, aussi acide que cynique. L’homophobie avec, en voulez-vous, en voilà , des « vieux pédés », des « pédales botticelliennes ». La mysogynie avec des femmes réduites aux utilités sexuelles parce qu’elles sont « des chattes humides ». L’europhobie- ah ! cette Europe, cause de tous les maux. Le monde sans bonté qui lamine les faibles, qui enrichit les riches. La sexualité glauquissime- grand classique houellebecquien. La pédophilie. Le racisme primaire (cette fois, l’auteur s’en prend aux Néerlandais). L’attaque « ad nominem »- entre autres, le quotidien « Libération » et Christine Angot, sans oublier la SNCF, les bobos parisiens ou encore la ville de Niort, chef-lieu du département des Deux-Sèvres, « l’une des villes les plus laides qu’il m’ait été donné de voir". Sans oublier la critique de la modernité- on lit : « Avons-nous cédé à des illusions de liberté individuelle, de vie ouverte, d’infini des possibles ? Cela se peut, ces idées étaient dans l’esprit du temps; nous ne les avons pas formalisées, nous n’en avions pas le goût ; nous nous sommes contentés de nous y conformer, de nous laisser détruire par elles ; et puis très longuement, d’en souffrir »… Alors, avec tout cela et un auteur qui avance bite et couteau à la main, la lecture de « Sérotonine » donne une impression de déjà vu, de déjà lu.
Bien sûr, au fil des pages de ce septième roman de « l’enfant terrible des lettres françaises », il y a quelques fulgurances- on nous assure que ce style aussi froid que neutre, aussi gris que chuchoté, c’est le génie de Houellebecq, surtout quand, comme dans Sérotonine, il y infuse, parait-il, une sacrée dose d’humour. Pourquoi pas ! mais, il y a aussi tant et tant de pages à l’écriture banale, aux facilités stylistiques, aux redites, aux « inspirations » wikipédiesques. Et ces thématiques qui feraient crier au scandale, proférées par d’autres, mais comme c’est du Houellebecq, c’est donc formidable, visionnaire- on n’entend pas les féministes, les LGBT et leurs amis, les pro-européens… Ce serait donc cela le mystère Houellebecq ? Parce que gros vendeur dans le monde, il serait intouchable ? Parce qu’ambigu dans ses mots et ses positions, il pourrait jouer de la provocation en toute impunité ? En 2008 dans « Ennemis publics », son échange épistolaire avec Bernard-Henri Lévy, il confiait : « J’ai toujours été mégalomane. Je rêvais déjà tout enfant de subjuguer l’humanité, de la séduire comme de la heurter, et finalement d’y imprimer ma marque… » Les houellebecquiens tout transis de vénération (aveugle ?) affirment que « Sérotonine » célèbre le grand retour du romantisme. Souhaitons seulement qu’il ne rime pas avec cynisme…
Sérotonine
Auteur : Michel Houellebecq
Editions : Flammarion
Parution : 4 janvier 2019
Prix : 22 €
Après la Légion d’Honneur, l’Académie ?
En 2007, tout juste découvert, un astéroïde était baptisé Michel Houellebecq par la communauté spatiale internationale. L’écrivain français, alors, s’en était dit flatté et honoré… Oui, nombre de ses proches ne manquent pas une occasion pour le signaler, l’auteur de « Sérotonine » est très sensible aux honneurs et autres décorations, lui qui a dû attendre 2010 pour être récompensé par l’Académie Goncourt pour son roman « La Carte et le Territoire ». A l’automne, ainsi, il a fait le voyage Paris- Bruxelles pour recevoir un prix de la Oswald Spengler Society, une société qui honore la mémoire du philosophe allemand (1880-1936), célèbre pour son essai « Le Déclin de l’Occident » et qui inspire nombre de partis de droite en Europe. Le 1er janvier dernier, par un communiqué, la Légion d’Honneur française annonçait que Michel Houellebecq est nommé chevalier- une nomination validée par l’Elysée après que la Présidence de la République eut la certitude que le romancier ne la refuserait pas. En fait, par une confidence, on a appris que c’est Houellebecq lui-même qui avait émis le souhait d’obtenir la Légion d’Honneur auprès d’un ami qui a relayé l’information à un conseiller du président Emmanuel Macron. D’ailleurs, une des conditions posées par le romancier est toute simple : « Oui pour accepter la breloque si et seulement si c’est le Président en personne qui me la remet » ! Et maintenant, l’entourage du romancier laisse entendre qu’il se verrait bien revêtir l’habit vert. Non pas cette parka informe qu’il traîne de séance photo en séance photo, mais bien cet habit vert que revêtent les membres de l’Académie française. Lui qu’on a vu en septembre dernier en smoking gris lors de son mariage s’imagine entrer à l’Académie, tout de vert vêtu, épée à la ceinture. L’affaire est on ne peut plus sérieuse : depuis 2015, les Académiciens se sont mis en tête de l’accueillir. La réponse lui appartient…