L’enfant d’Ingolstadt : Pascal Quignard, dernier royaume, acte 10
- Écrit par : Serge Bressan
Par Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Dès les premières lignes, il y a une musique des mots connue. Qu’importe le thème ou le sujet évoqué, ça sonne comme nulle part ailleurs- et on en a une nouvelle confirmation avec « L’enfant d’Ingolstadt », le nouveau livre de Pascal Quignard, l’auteur de, entre autres, « Tous les matins du monde » et « Villa Amalia ». Une fois encore, avec ce dixième volume de la série « Dernier Royaume », il pratique un art étourdissant de la tonalité singulière. Quignard, c’est une pensée fracassée, éclatée et, en même temps, une et unique. Ainsi, dans « L’enfant d’Ingolstadt » (sixième ville de la Bavière et siège de la firme automobile Audi), il mêle et empile des textes d’une toujours belle érudition. D’une écriture sèche, raclée de tout surplus jusqu’à l’os, l’auteur qui fut récompensé par le Goncourt pour « Les Ombres errantes » en 2002, se et nous balade aussi bien dans la critique d’art que dans la philosophie, l’étymologie ou encore la poésie, les rites antiques et chrétiens, la psychanalyse…
Ce nouvel et brillant texte, ce conte très bref n’est pas sans rappeler un conte des frères Grimm, « L’enfant entêté », lui-même inspiré par « Le garçon mort d’Ingolstadt »- une ballade du 16ème siècle. Dans « L’enfant d’Ingolstadt » (qui a reçu récemment le prix Transfuge, catégorie « meilleur essai »), Pascal Quignard raconte un enfant qui bat sa mère, laquelle survit. Il meurt, on enterre son corps- n’empêche ! une de ses mains sort de terre, sans cesse. Une seule personne arrive à faire cesser ce phénomène : la mère- elle frappe la main jusqu’au sang. Evidemment, et n’oublions pas que nous sommes là dans le monde de Pascal Quignard, la symbolique est forte, omniprésente : la force vitale est présente jusqu'à la mort et se manifeste dans tous les êtres, humains ou animaux, prédateurs et proies.
Avec « L’enfant d’Ingolstadt », l’auteur a, dans une note d’intention, expliqué son travail. « Qu’est-ce que je cherche, tome après tome, dans « Dernier Royaume » ? Une autre façon de penser à la limite du rêve. Une façon de s’attacher au plus près de la lettre, à la fragmentation de la langue écrite, et d’avancer en décomposant les images des rêves, en désordonnant les formes verbales, en exhumant les textes sources ». Il écrit aussi : « Ce dixième tome de « Dernier royaume » n’a qu’un sujet : le faux qui fait le fond de l’âme. Le fond de l'âme hallucine. Le langage dédouble ses fantômes. Tous les arts élèvent des mondes faux. Même la dépression est un rêve. L’art dès son origine témoigne activement d’un passé présent : d’un rêve actif qui passe les générations et remanie ce qu'il fait revenir ». Avec cet « Enfant d’Ingolstadt », avec Quignard pour guide au pays de l’art et du rêve, on va croiser rien que du beau (?) monde, le cardinal Richelieu, Saint Elisée, Pétrarque, Confucius, Pline l’Ancien, Colette… et même Charles le Chauve ou encore Landru, le médecin tueur en série en France au début du 20ème siècle !
L’enfant d’Ingolstadt
Auteur : Pascal Quignard
Editions : Grasset
Parution : 12 septembre 2018
Prix : 20 €