C’est ainsi que les hommes vivent : le chef-d'oeuvre de Pierre Pelot, le barbe noire de la littérature française…
- Écrit par : Guillaume Chérel
Par Guillaume Chérel - Lagrandeparade.fr/ Dans sa préface à la réédition de « C’est ainsi que les hommes vivent », Jean-Christophe Ruffin, de l’Académie Française, rappelle que Pierre Pelot (71 ans) habite le même village que là où il est né et que ce lieu-dit s’appelle la Tanière. A première vue Pierre Pelot – l’homme aux 200 romans écrits et publiés – ressemble à un homme des cavernes, avec sa barbe noire et son air hirsute, mais il n’y a pas plus gentilhomme sur terre : les lecteurs pouvaient le constater lors des séances de dédicace sur les salons littéraires. Traduit dans plus d’une quinzaine de langues, il s’est essayé à quasiment tous les genres : western, science-fiction, roman noir, préhistoire… L’adaptation de « L’été en pente douce », en 1987, l’a rendu populaire. Depuis la disparition de son fils, il vit reclus dans sa tanière mais ses lecteurs, comme son éditeur, ne l’oublient pas. La preuve…
Publié pour la première fois en 2003, « C'est ainsi que les hommes vivent » est un pavé dans la mare germanopratine. Un roman consistant, bouillonnant, violent, une aventure littéraire. Il entremêle deux histoires : l'une qui débute en 1599, avec une femme conduite au bûcher pour sorcellerie, l'autre qui se déroule en 1999, avec l'enquête familiale de Lazare Grosdemange de retour au bercail.
Tout le livre repose sur la relation passionnée entre le fils de la sorcière et une aristocrate adultérine, dans le tumulte de la guerre de Trente Ans. À l'automne 1999, réchappé d’une crise cardiaque (comme l’auteur), qui l’a rendu amnésique, Lazare Grosdemange, journaliste et grand voyageur, revient dans les Vosges sur les lieux de son enfance. L’accident cardiaque lui a fait perdre la mémoire dans des circonstances troublantes qu'il cherche de toutes ses forces à éclaircir. Son enquête le conduit sur une piste liée au passé de la région, une piste que quelques coureurs de trésors semblent déjà connaître.
Pelot s'est mis tout entier dans l’histoire. Il est Lazare Grodemange qui revient dans son village natal vosgien. Il cherche à retrouver des fragments de sa mémoire, perdue à la suite d'un étrange accident. Dans ce même village, au XVIIe siècle, Dolat apprend le secret de ses origines : il est bel et bien le fils d'une paysanne brûlée vive pour sorcellerie. Amoureux fou, pour son plus grand malheur, de la noble dame Apolline, le jeune homme doit fuir avec elle et sombre bientôt dans l'enfer de la guerre de Trente Ans.
Pelot défie le temps sur quatre siècles d'histoire. Il réussit le tour de force de faire se croiser les chemins de Lazare Grosdemange, l'écrivain, et de Dolat, « fils du diable ». Fils d'une paysanne brûlée pour sorcellerie qui découvre la vérité sur sa naissance : il a été recueilli par les religieuses de Remiremont et adopté par une demoiselle de haut lignage. Éloigné de l'abbaye, il se retrouve impliqué avec Apolline, sa « marraine » devenue sa maîtresse, ce qui qui dérange le duché de Lorraine. Le couple s'enfuit vers la Bourgogne voisine, par la montagne où ne vivent que des « forestaux », charbonniers et « myneurs », en marge du monde. La guerre de Trente Ans qui dévaste la Lorraine atteint bientôt ces régions sauvages et sépare les deux amants. « C’est ainsi que les hommes vivent » est un thriller contemporain ainsi qu’une prouesse langagière et de la mémoire. Pelot, pour qui écrire, c'est respirer, souligne les vertus identitaires de l'écriture. Il a parfaitement restitué les détails de cette sombre période, en effectuant notamment un travail sur le langage, qui intègre les mots d'alors dans un phrasé contemporain. « C’est ainsi que les hommes vivent » est un torrent de phrases qui roulent, déboulent, bousculent et entrainent le lecteur jusqu’aux tréfonds de l’âme humaine. C’est un feu d’artifice littéraire. Une performance lexicale. Une expérience textuelle, comme le fut « Sous le vent du monde », son roman néandertalien… Le chef-d'œuvre d’un artisan des mots. Un orfèvre de la langue française. Une sorte de compagnon du devoir de la littérature française mais plutôt de la branche laborieuse aux mains calleuses. Un bousculeur d’écrivaillons germanopratins. A dévorer cet hiver au coin du feu.
C’est ainsi que les hommes vivent
Editions : Les Presses de la Cité
Auteur : Pierre Pelot
1050 pages
Prix: 19 €
Pierre Pelot sort de sa tannière : un entretien réalisé par Guillaume Chérel - novembre 2016
Pouvez-vous nous rappeler, alors que « C’est ainsi que les hommes vivent » est réédité, pourquoi vous aviez eu envie d’écrire ce roman-fleuve ?


C’est ainsi....? Parce que c’est ainsi. J’avais envie sans doute de raconter une portion d’histoire de « ma » terre : les Vosges. Cette époque de la guerre de Trente ans a été terrible. Je me suis demandé comment les gens des trous perdus de ces contrées ont pu la vivre, éventuellement la survivre. Certains ont vécu toute leur vie en enfer. Sans y rien comprendre en plus… Ils devaient avoir des explications de base, forcément fausses. Les armées de ce temps qui traversaient le pays, « ennemies » ou « amies », c’était du pareil au même, l’intendance n’existait pas et ça vivait sur l’habitant. C’est une période de moeurs incandescentes… Je voulais aussi raconter une histoire d’amour dans cette atmospère. Deux personnages illustrant l’atmosphère, le fils du diable et la religieuse : « (…) et la nonne aima le brigand… », écrit victor Hugo dans « La légende de la nonne », que chante Brassens. Il a dû avoir la même envie d’écriture, le père Hugo.
Pourquoi la préface de Jean-Christophe Ruffin ?


Parce que c’est un honneur pour moi. Et qu’il me fait cet honneur de s’intéresser à mon travail.
Sur quoi travaillez-vous en ce moment, alors qu’on disait que vous aviez décidé de souffler un peu suite à un douloureux deuil familial ?


J’ai en projet, après un grand creux de silence et d’enterrement, effectivement, un roman en écriture en ce moment. Pour les éditions Heloise d’Ormesson. Un gros - pour un type qui ne voulait plus écrire, c’est un comble ! - et ça s’appelle « Debout dans le tonnerre », et c’est la suite de « L’ombre des Voyageuses ». L’histoire de Emeline, la petite fille de Esdeline Favier, dite La Rouge Bête (Louisiane, 1780). Pendant la guerre d’indépendance américaine. Et ensuite, pour mon éditrice des Presses de la cité, Clarisse Enaudeau: « Braves gens du Purgatoire ». Ce sera une saga gigantesque. Les vosges, encore une fois, deux familles du 18eme siècle à maintenant. Ce qui sera une façon de parler de ce que je pense et comme je vois le monde actuel, fatalement.


Comment voyez-vous l’évolution du monde de l’édition actuelle, vous qui avez commencé à publier il y a plus de trente ans?


Quarante oui!… Dans ce qu’on édite, en tous cas, j’ai vu graduellement se déliter et s’envaser le livre qui est avant tout devenu un produit. Je ne conteste pas qu’il l’a été depuis toujours, mais là , je dis : devenu « avant tout » un produit. A de rares exceptions, of course. J’ai la chance de travailler avec deux ou trois éditeurs qui sont d’ailleurs des éditrices, qui font partie de ces exceptions. Pour avoir une idée, tu regardes ce que sont les succès des librairies, et les non-succès. Tu auras une idée. C’est terrible, mais il se trouve souvent que les livres dont on parle le plus sont les moins « bons » C’est comme dans la chanson. Les tubes et les scies qu’on t’assène et que t’entends sur les radios jusqu’à l’écoeurement… En plus, si c’était du bon, encore… Mais… Ah putain, il est où l’bonheur ?
Ecririez-vous différement vos livres d’il y a 20 ou 30 ans maintenant ?
Bien sûr que pour un grand nombre de mes romans je les écrirais différemment… et d’ailleurs je ne les écrirais sans doute pas tous, ou plus. Certains d’entre eux, qu’on dit « alimentaires ». Mais je n’’ai jamais cru aux genres. Ça m’a toujours énervé, ces étiquettes. J’ai donc tenté de toujours faire ce que je voulais à l’intérieur de ces étiquettes et de ces tiroirs. Ma SCIENCE-fiction n’a jamais été très scientifique (comme Ray Bradbury à propos ndla). J’ai écrit des histoires… D’ailleurs j’ai pas changé de genre. J’ai écrit d’autres histoires. Mais « dans le genre », justement, il y a un truc (encore un monument ! ) qui va sortir l’année prochaine chez Bragelonne. Ça s’appelle OREGON, c’est donc de la sf.
Le Cinéma ? Vous qui avez été adapté avec « L’été en pente douce », entre autres…
J’en parle plus… J’ai fini d’y croire. Quand je pense que personne ne s’est manifesté pour monter une adaptation de « C’est ainsi que les hommes vivent », par exemple, soit en série soit en film ciné… ça veut tout dire de la frilosité de ces gens dont la profession se résume désormais à la recherche d’un coup à faire… Ou alors… une option est prise sur mon roman MARIA, par exemple. Par une prod. qui me fait tout un truc sur l’adaptation que je pourrais écrire… Ça fait un an. C’est toujours comme ça. Ou j’écris un scénar et les prod en ont peur ou n’en veulent pas. Parce que, je ne sais pas, ça ne répond pas à leurs critères, leurs envies de commerçants… l’air de leur temps. Je ne sais pas. mais basta. J’en ai marre !


A part ça, ça va ?



Voilà voilà , on va dire ça. J’ai bien quelques gros problèmes avec mon œil mais je me soigne, comme dirait l’autre, et je suis vivant. La preuve…