Dernières nouvelles de Buenos Aires : les billets intemporels de Roberto Arlt
- Écrit par : Félix Brun
Par Félix Brun - Lagrandeparade.fr/ Ce recueil regroupe quarante-cinq chroniques journalistiques publiées dans El Mundo entre 1928 et 1942 en Argentine. L’auteur Roberto Arlt est le fondateur de la littérature urbaine argentine, dénonçant l’inhumanité des cités, du travail, l’aliénation politique et sociale de l’individu. Il est en rupture avec ce qu’il désigne "la grande littérature", préférant l’authenticité, le réalisme, la révolte ; il persifle et brocarde en usant pour la circonstance du lunfardo (argot de Buénos Aires).
Dans "A quoi sert le progrès ", Roberto Arlt regrette ce temps où "on n’était pas pressé de vivre" ,et raille les « bienfaits » du développement scientifique et matériel : "Les anciens croyaient que la science pouvait rendre l’homme heureux. Comme c’est curieux ! Nous qui maîtrisons la science devons admettre ce qui suit : ce qui rend l’homme heureux, c’est l’ignorance. Le reste n’est que musique céleste."
Le lecteur appréciera "Comment tromper les électeurs". Un candidat aux élections législatives déclare sans état d’âme, " Tout crime politique peut être commis si on est assez rusé pour l’enrober de légalité et de chicanes juridiques.[…] Un député m’a dit une fois : "Si le fait de voter une guerre qui implique l’Argentine me permet de gagner un million de pésos, je vote la guerre." " Sans commentaire…. ! Et ce même élu du peuple argentin avait défini ainsi le régime idéal : "Ici ce qu’il faut, c’est une idéologie politique qui ait l’apparence de la démocratie et qui ne le soit pas, qui réponde à tous les désirs et à aucun, qui soit contre tous et avec tous…" Et aussi ce malheureux ouvrier qui travaille la nuit et qui essaie de trouver le sommeil au matin, pour : "Dormir pour oublier cette chienne de vie, le travail de tous les jours, la solitude de tous les jours, la désillusion de tous les jours, la croûte de tous les jours…"
Roberto Arlt tourne en dérision l’urbanisme des grandes villes, et plus particulièrement Buénos Aires, dénonce la politique en matière de natalité poursuivie par l’Allemagne nazie soucieuse de renforcer ses effectifs militaires, future chair à canon…. "Charogne de la naïveté" .
En grand défenseur de la cause féminine, le galant Roberto se moque de la goujaterie et de l’indélicatesse des argentins et condamne la condition des femmes : "J’observe le spectacle des femmes qui m’entourent. Aucune ne donne l’impression de connaître un vrai bonheur. Est-ce que le bonheur est possible ?" Enfin Roberto Arlt s’était intéressé notamment aux évènements qui ont marqué l’Europe des années trente, à propos de 1938, il écrivait : "Une année terrible vient de s’écouler. Une année d’exécutions, de persécutions, de tueries, de massacres, de guerres. Une année rouge, une année de sang."
Roberto Arlt est disparu brutalement et précocement le 26 juillet 1942, il avait quarante-deux ans….ses "dernières nouvelles de buénos aires" sont étonnamment d’actualité.
Dernières nouvelles de buenos aires
Auteur : Roberto Arlt
Traduction : traduit de l’espagnol (Argentine) par Antonio Garcia Castro
Edition : ASPHALTE / Parution: février 2016