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« Pays de sang » de Paul Auster et Spencer Ostrander : autopsie de la violence américaine

  • Écrit par : Serge Bressan

sangPar Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Certains évoquent des « tueries de masse Â». D’autres parlent de « fusillades de masse Â». En deux jours en cette fin janvier 2023, les Etats-Unis ont connu l’horreur. D’abord, un homme entre dans une discothèque dans la banlieue de Los Angeles, il tire, bilan : 11 morts, 9 blessés. Quarante-huit heures plus tard, dans des exploitations agricoles de la baie de San Francisco, un autre homme tire : 9 morts. Durant les trois premières semaines de cette année 2023, trente-neuf « fusillades de masse » se sont produites. En moyenne, plus de 130 personnes meurent par balles chaque jour aux Etats-Unis. Face à cette augmentation de la violence armée, aucun Etat n’est épargné. Les Etats-Unis représentent en effet une aberration mondiale en matière d’armes : selon la Small Arms Survey (SAS), le pays recense 120 armes pour 100 habitants. Aucun pays au monde n’en compte autant… et la question surgit : pourquoi les Etats-Unis sont-ils le pays le plus violent du monde occidental ?

Un homme, Spencer Ostrander, 39 ans, s’est intéressé à ce que certains sociologues spécialistes des affaires étatsuniennes qualifient d’« Ã©pidémie Â». Photographe vivant à New York depuis une vingtaine d’années, il est l’auteur de deux livres parus en 2022, « Long Live King Kobe Â» et « Time Square in the Rain Â». Il a surtout initié un projet photographique de grande envergure : fixer sur pellicule et papier plus d’une trentaine de sites où, aux Etats-Unis, ont été perpétrées des tueries de masse. Des clichés en noir et blanc- à chaque fois, en légende, le lieu, la date, le nombre de morts et de blessés. Par exemple : Kirkwood, Missouri. 7 février 2008. 7 morts, 1 blessé, ou encore Lycée Marjory Stoneman Douglas. Parkland, Floride. 14 février 2018. 17 morts, 17 blessés…
Un autre homme a eu connaissance du travail et des photos de Spencer Ostrander : il est un des plus prestigieux écrivains américains contemporains, né dans le New Jersey et vivant Brooklyn. Paul Auster, 75 ans, auteur de, entre autres, « Léviathan Â», « 4 3 2 1 Â» et « Burning Boy Â», est également le beau-père de Spencer Ostrander. Logiquement, il a eu connaissance du travail du photographe dont il qualifie le travail de « photographies du silence Â», ils se sont associés, résultat, un livre : « Pays de sang Â». Sous-titre : « Une histoire de la violence par arme à feu aux Etats-Unis Â». Dans un récent entretien à un journal britannique, l’écrivain a confié : « Le droit de posséder une arme aux Etats-Unis est considéré comme une sorte de Saint Graal Â»â€¦ Et, d’emblée, il prend soin de préciser : « Je n’ai jamais possédé d’arme. En tout cas, pas une vraie, mais pendant deux ou trois ans après la période des couches, je me promenais avec un six-coups à la hanche. J’étais un Texan, même si je vivais dans la banlieue de Newark, dans le New Jersey, car au début des années 1950, le Far West était partout Â»â€¦
L’histoire de la violence américaine est inscrite dans l’histoire personnelle et familiale de Paul Auster. Il raconte : « Le 23 janvier 1919 (...) ma grand-mère a tiré sur mon grand-père et l'a tué Â», son père n'avait que 6 ans et son oncle, témoin du meurtre, à peine trois de plus. La grand-mère fut jugée dans le Wisconsin mais acquittée pour « démence temporaire Â» et s'installa avec ses enfants dans le New Jersey, près de New York. Encore Auster : « L'arme avait provoqué tout cela ; non seulement les enfants n'avaient plus de père, mais ils vivaient en sachant que leur mère l'avait tué Â»â€¦ Dans « Pays de sang Â», Paul Auster rappelle aussi qu’il sait être polémiste- un exercice qu’il avait déjà pratiqué en 2009 avec « Seul dans le noir Â», un roman pamphlet contre l’Amérique des années Bush. Cette fois, il tente de savoir, de comprendre en déroulant l’histoire de la violence par arme à feu aux Etats-Unis- son récit et son analyse courent de la « préhistoire Â» du pays à nos jours et pointent cette problématique de la possession légale d’armes à feu qui divise le pays en deux camps fondamentalement irréconciliables. Par des armes à feu, l’Amérique fracturée… Et Paul Auster, de constater : « Les fissures de la société américaine s'élargissent continuellement pour devenir de vastes gouffres d'espace vide Â»â€¦

Pays de sang
Auteurs : Paul Auster (texte), Spencer Ostrander (photos)
Traduction : Anne-Laure Tissut
Editions : Actes Sud
Parution : 8 février 2023
Prix : 26 €

[bt_quote style="default" width="0"]Selon une estimation récente émise par l’Institut de recherche de l’hôpital pour enfants de Philadelphie, les résidents des Etats-Unis détiennent actuellement 393 millions d’armes à feu, soit plus d’une arme pour chaque homme, femme et enfant de ce pays. Chaque année, environ 40 000 Américains meurent de blessures par balle, ce qui équivaut à peu près au nombre de morts annuel sur les routes et autoroutes américaines. Parmi ces 40 000 morts par balle, plus de la moitié sont des suicides, un nombre qui à son tour équivaut à la moitié des suicides annuels. Si on y ajoute les meurtres par balle, les morts accidentelles causées par balle, les exécutions par balle lors d’opérations de police, la moyenne revient à plus de 100 Américains tués chaque jour par balle.[/bt_quote]

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