Monsieur : une Cendrillon du 21ème siècle selon E L James
- Écrit par : Serge Bressan
Par Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Avant même de se lancer dans la lecture, on est prévenu par une note de l’éditeur : « E L James est une romantique incurable et reconnaît être une midinette dans l’âme. Après avoir travaillé pendant vingt-cinq ans pour la télévision, E L James décide de poursuivre son rêve d’enfant en écrivant des histoires qui toucheraient les lecteurs au plus profond de leur cœur ». Ainsi donc, la Britannique (56 ans, née à Londres où elle vit avec son romancier et scénariste de mari et leurs deux enfants) s’est lancée en écriture- encore une note de l’éditeur : « Il en a résulté le très sensuel ‘’Cinquante nuances de Grey’’ ». Carton mondial pour un livre qui, best-seller mondial, devient un phénomène de lu « mum porn », ce porno pour mamans (de plus de 50 ans, glissent fielleusement les marchands qui peuplent aujourd’hui le monde de l’édition). Et la voilà à nouveau en librairies avec un sixième roman sobrement titré « Monsieur » (« The Mister », en VO). Lors de la présentation de ce nouveau livre, l’auteure a expliqué : « C’est un conte de fées, une histoire de Cendrillon du 21ème siècle ».
Donc, oublié Christian Grey, le maître du jeu des 50 nuances, place à Maxim Trevelyan et Alessia Demachi. On nous promet une « histoire d’amour pleine de passion et de suspense ». Alors, on file à Londres, on est en 2019 et Maxim Treveylan est jeune, séduisant, riche aristocrate, il n’a jamais travaillé, a dormi très rarement seul et se révèle immense poète quand il évoque ses « exploits »- « Mon entrejambe frémit », « Je lis le défi dans ses yeux ; ma queue s’anime », « Nom de Dieu ! Je bande encore » ou encore « Elle laisse échapper un soupir de contentement. Une douce musique pour ma queue ». Un poète, on vous dit ! Manque de chance pour le jeune homme, un jour il hérite du titre, de la fortune et des domaines familiaux. C’est, pour lui, une véritable tragédie puisque, dans l’héritage, il est prévu qu’il fasse tourner la « petite entreprise »- c’est une catastrophe pour Maxim qui n’a jamais été préparé à ce rôle.
Mais tout ça n’est rien contre l’attirance immense qu’il éprouve pour une jeune femme, Alessia Demachi. On apprend vite qu’elle trimballe un passé pour le moins trouble, qu’elle n’a quasiment aucune ressource et qu’elle vient de débarquer en Grande-Bretagne. On croit savoir qu’elle est musicienne, on sait qu’elle est et discrète et belle, génie des échecs et qu’elle a appris l’anglais en regardant HBO et Netflix et en lisant les livres offerts par sa grand-mère, dont « Harry Potter »… Alors, vite, du désir de cette jeune femme, Maxim passe à l’amour- un sentiment qu’il n’a jamais éprouvé. Résumé par E L James, « Monsieur », c’est « une histoire beaucoup plus conventionnelle, parce qu’elle réunit deux personnages issus de milieux sociaux opposés : Maxim Trevelyan, un riche aristocrate, et Alessia Demachi, une musicienne fauchée. C’est un nouveau défi, et j’ai cette chance formidable de pouvoir écrire tous les récits auxquels je rêve, et je ne suis pas près de m’arrêter ! »
Sur la Toile, « Monsieur » a été diversement accueilli. Entre autres commentaires, il est évoqué « 50 nuances plus bêtes » ou encore « un nouveau conte de fesses ». E L James aura-t-elle voulu du « mum porn » au « soft porn », en emmenant lectrices et lecteurs (il y en a quelques-uns !) de Londres en Cornouailles pour (tenter de) percer les mystères, voire les secrets que trimballent tant Alessia Demachi que Maxim Treveylan ? Se serait-elle, là, prise d’ambition littéraire en privilégiant, du moins en tentant de privilégier le suspense ? Pour l’éditeur, c’est beaucoup plus simple, « Monsieur » et ses scènes de sexe aussi désuètes qu’inoffensives est « un thriller érotique ». Nous voilà rassurés… Quant à E L James, elle a laissé entendre qu’elle pourrait bien écrire encore quelques volumes des aventures de Maxim et Alessia- avec la saga « 50 nuances de Grey » et ses dérivés ciné et merchandising, elle a empoché plus d’un milliard de dollars (plus de 850 millions d’euros) !
Monsieur
Auteur : E L James
Editions : JC Lattès
Parution : 30 mai 2019
Prix : 17 €
[bt_quote style="default" width="0"]Je l'embrasse plus profondément. Quand ma langue taquine ses lèvres, elle entrouvre la bouche. C'est tellement bon. Sa langue hésite puis s'abandonne. Elle a le goût de la grave et de la séduction. C'est adorable, envoûtant, excitant... [/bt_quote]
« Mum porn » et new romance
Dans de nombreuses librairies, après l’avoir longtemps caché, on lui accorde des rayonnages entiers. Et il n’est pas rare, consultant les listes des best-sellers, de trouver quelques-uns des ouvrages relevant de ce genre, à vrai dire pas très nouveau et qu’on appelle « new romance » ou encore « mum porn » (aussi « mommy porn »- en VF : le porno pour mamans). Un éditeur français, Hugo et Cie, en a même fait ses têtes de gondole- imité par quelques autres de ses confrères qui ont senti le bon filon, surtout quand ils prennent connaissance des chiffres de vente de la star du genre, la Britannique E L James et ses 150 millions d’exemplaires vendus dans le monde.
La télé s’y est mise également- ainsi, Netflix avec la série « Bonding » (7 épisodes de 20 minutes, chacun) qui met à l’honneur et avec une pointe d’humour les sexualités différentes avec une plongée dans le BDSM (bondage, domination, sadisme, masochisme) à New York. En 2013, à la sortie de « 50 nuances de Grey », E L James qui se présente en bonne mère de famille avait assuré : « Les journalistes voient du sexe partout… » N’empêche ! les romances teintées de fessées s’étalent sur les rayons de librairie, on relève les titres : « 50 nuances de Grey », « Crossfire », « Beautiful bastard », « 80 notes de jaune »…- encore James : « Je veux juste donner du plaisir de lecture aux femmes ». Mouais…
Soyons clairs : en fait, le new romance et le « mum porn », c’est la collection Harlequin années 1950 adaptée au début du 21ème siècle. Mieux : récemment, un observateur averti des choses de l’édition a même relevé les « 10 commandements du ‘’mommy porn’’ ». Ainsi, ça commence par le titre qui doit être bateau. Ensuite, on prend un héros jeune et riche, évidemment dominant et au passé trouble, on y ajoute une héroïne qui apprécie les mots crus, finira les jambes en l’air, a l’orgasme facile et est une accro au sexe toute pleine d’imagination. Enfin, on y assure que, par le sexe, tous les problèmes seront bien sûr réglés et que le héros sera, au final, tout transformé et sera devenu un vrai chaton…
Evidemment, dans ce cocktail, on n’a que faire des invraisemblances, incohérences et autres coïncidences- tout ce qui, inévitablement, fait la vraie vie ! Et surtout, tout(e) auteur(e) de new romance et « mum porn » ne doit pas hésiter : quand il/elle a une histoire, une intrigue qui pourrait tenir sur une centaine de pages, il/elle ne doit pas hésiter à faire durer (le plaisir ?) en rallongeant, en tirant à la ligne. Et développer les aventures (ce qu’on qualifie plus explicitement de « parties de jambes en l’air »)- ainsi, on peut lancer une série, voire une saga et arriver facilement à au moins trois tomes ! Commentaire d’une directrice de collection : « Désormais, la littérature érotique ou les livres avec des passages érotiques ne sont plus un tabou… » A preuve : centrés sur ce « mum porn », sont créés des cocktails, des « fashionistas » et même de grands festivals !