Les éditions du sous-sol : Tiré d'une histoire vraie ou Il n'y a pas d'astuce, il faut avaler le feu
- Écrit par : Guillaume Chérel
Par Guillaume Chérel - Lagrandeparade.com/ Adossées à la grande maison d'édition du Seuil, les petites éditions du Sous-sol font un travail remarquable et remarqué. Née dans un sous-sol, entouré de livres, aménagé à la hâte en bureau de fortune, rue Charlemagne, à Paris, elles publient, en février 2013, leur premier titre, un chef-d'œuvre du genre « écriture du réel » (ou journalisme littéraire) : Sinatra a un rhume, de Gay Talese, un auteur qui a le goût de travailler ses manuscrits dans le sous-sol de son immeuble de la 61e rue à New York. Arrêtons-nous sur Talese, toujours vivant, à ce jour, et aussi élégant que l'était Tomas Wolfe, considéré comme l'un des fondateurs du Nouveau journalisme, aux Etats-Unis. Ce que pourrait lui contester le dit-Talese, moins connu, né en 1932, qui lui n'a jamais revendiqué cette parenté. Il n'oublie pas, lui, Truman Capote, auteur du chef-d'œuvre De Sang froid (1966), puis l'inénarrable Hunter Thompson, créateur du mouvement Gonzo... C'est oublier qu'avant eux, il y eut Marc Twain, Jack London, Hemingway, Orwell et Albert Londres, chez nous, voire Joseph Kessel... Dos Passos. Bref, l'écriture de Gay Talese s'inscrit dans une veine journalistique littéraire qu'il a su, par son talent, renouveler.
Tout est affaire d'imagination en dit long sur son sens de l'humour. Lui qui est la référence absolue de la « non-fiction ». Le style de Gay Talese est reconnaissable entre tous : il sait et peut passer du coq à l'âne... mais quel zoo ! Dandy qui aime se présenter coiffé d'un fédora (chapeau de feutre à la Humphrey Bogart), il porte une attention aussi grande à la confection de ses phrases qu'à celle de ses costumes, dixit son éditeur français. À croire ce fils de tailleur calabrais, c'est dans le magasin tenu par ses parents, en écoutant les confidences que les clientes faisaient à sa mère, qu'est née sa vocation d'écrivain, son goût du détail et des bonnes manières. Ainsi, on n'interrompt jamais quelqu'un qui se livre (que l'auteur de ces lignes en prenne de la graine...). Dans ce recueil de quelques-uns de ses meilleurs reportages, parus des années 1960 à nos jours, on entend aussi bien la voix de ses parents que celles du crooner Tony Bennett, ou du parrain de la mafia Joe Bonanno, que le bruit des machines à écrire du New York Times d'antan ; en somme la cacophonie harmonieuse du réel, toujours différent, toujours inventif, toujours surprenant. L'observateur, l'auteur, disparaît derrière son sujet, car comme il aime à le rappeler « un bon journaliste est une personne multiple, un schizophrène ». Un caméléon qui sert de chambre d'écho au monde qui l'entoure.
L'un de ses successeurs est David Grann. Contrairement aux histoires imaginées par Arthur Conan Doyle, les douze enquêtes racontées par David Grann, dans Le Diable et Scherlock Holmes, sont bien réelles. Que l'auteur se penche sur l'infiltration d'un gang de détenus dans le système carcéral américain, ou la traque de l'un des grands imposteurs du XXe siècle, affabulateur caméléon aux multiples identités, qu'il retrace la folle cavale d'un vieux braqueur de banque, le démantèlement d'un empire mafieux dans une cité de l'Ohio surnommé Crimetown, ou encore la disparition dans des circonstances mystérieuses d'un fanatique de Sherlock Holmes (dont est tiré le titre de l'ouvrage), ce recueil rassemble les meilleures enquêtes criminelles de David Grann. Il y endosse tour à tour et avec une virtuosité sans égale les habits de l'historien, du détective ou de l'auteur de romans policiers, de sorte qu'à la fin, subjugué par ses contes de meurtres, de folie et d'obsession, on serait tenté de s'écrier : « Élémentaire, mon cher Grann ! ». En prestidigitateur, il fait disparaître la frontière qui peut séparer la fiction de la réalité.
Portrait du joueur en jaloux obsessionnel. Voici ce que brosse Jerome Charyn dans ces deux chapitres d'une biographie consacrée à Joe DiMaggio. Idole incontestée du base-ball, The Jolter occupe magistralement sa place de champ centre jusqu'à ce que son mariage fasse de lui M. Marilyn Monroe. DiMag ne supporte pas d'être l'ombre de son ombre. Rôdeur, possessif, c'est un Big Guy en macho blessé et jaloux, détestant Arthur Miller (ex de Marilyn) autant que les Kennedy, qui est dépeint. Une obsession amoureuse à la fois narcissique et passionnée qui suit hors champ l'effondrement de deux idoles, et la création de deux mythes. Jerome Charyn donne ici voix à l'Amérique de l'après-guerre, qui a vu naître la culture de masse et l'âge d'or des icônes patronnées par les industries du sport et du cinéma. Il analyse les rouages du rêve américain à travers les portraits croisés de DiMaggio, fils d'immigrés italiens, et de Marilyn, aux origines sociales modestes, tous deux partis côtoyer les étoiles. Par petites touches, il en montre également les fêlures : la ségrégation, le maccarthysme, et l'émergence de la contre-culture. Mêlant travail de recherche, bonheur d'écriture et fulgurances littéraires, il s'affranchit de la frontière entre la biographie et le roman, s'inscrivant ainsi dans la lignée des grands textes de Norman Mailer et de Joyce Carol Oates. « Où t'en es-tu allé, Joe DiMaggio ? Une nation entière tourne vers toi son regard esseulé », interrogent Simon et Garfunkel, dans la chanson culte "Mrs Robinson". Homme élevé au rang de demi-dieu, acclamé par les foules, DiMaggio a été brisé par la machine qui a fait sa gloire. Mais qui était vraiment Joe "la Châtaigne", légende américaine du baseball, héros trop discret à la personnalité taciturne et époux malheureux de Marilyn Monroe ?
Tessa Fontaine (La femme électrique) s'est lancé un défi fou : rejoindre en immersion complète, le temps d'une saison, la dernière troupe américaine de sideshow, cirque itinérant d'un autre temps. Sillonnant les États-Unis de foire en foire en compagnie d'une joyeuse bande de saltimbanques et autres freaks, elle a dû tout apprendre sur le tas. Les numéros interprétés sous le chapiteau bien sûr : l'avaleuse de feu, la charmeuse de serpent, quelques tours de passe-passe et le rôle d'"Electra", la femme électrique capable d'allumer une ampoule avec sa langue. Mais aussi le quotidien de la vie de forain, des douches communes au frisson de la scène en passant par les trajets à bord de l'infatigable semi-remorque. Ces moments sont également l'occasion pour Tessa de se reconstruire après des années passées au chevet de sa mère, gravement handicapée suite à une série d'attaques cérébrales. Sa mère, ancienne surfeuse voltigeuse, elle-même partie pour un dernier voyage en Italie, alors qu'elle ne peut ni marcher ni parler : « Il n'y a pas d'astuce, il faut avaler le feu », écrit-elle, au début de l'ouvrage, lors d'un « stage » pour apprendre à cracher le feu... Où elle croise un ancien apprenti lassé de « marcher sur des échasses à Burning man ». Road-trip freak, et féminin, tendre et souvent drôle, La Femme électrique a la fougue d'une immersion et la profondeur d'un récit de résilience hors du commun : « L'astuce, c'est qu'il n'y a pas d'astuce. Pour avaler le feu, il faut avaler le feu »... (refrain). Pour écrire un bon livre, il faut écrire un bon livre. Il n'y a que ça de vrai.
La femme électrique (récit au-delà de l'illusion)
Editions du sous-sol/ Le Seuil
Auteure : Tessa Fontaine,
Rraduit par Hélène Cohen (Etats-Unis),
397 pages
Prix : 24 €
Tout est affaire d'imagination
Editions du sous-sol/ Le Seuil
Auteur: Gay Talese
traduction de l'anglais (Etats-Unis) de Michel Cordillot,
318 pages
Prix: 22 €
Jo Dimaggio
Editions du sous-sol/ Le Seuil
Auteur: Jerome Charyn
Traduit de l'anglais (USA)par Marc Chénetier
192 pages
Prix : 18 €
Le diable et Sherlock Holmes
Editions du sous-sol / Le Seuil
Auteur: David Grann
Traduit (USA) par Johan-Frédérik Hel Guedj
464 pages
Prix : 23 €