Un Poisson sur la Lune : la mort d’un père selon David Vann
- Écrit par : Serge Bressan
Par Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / La phrase claque. « Les gens seraient-ils en réalité tous au bord du suicide, toute leur vie, obligés de survivre à chaque journée en jouant aux cartes et en regardant la télé et en mangeant, tant de routines prévues pour éviter ces instants de face à face avec un soi-même qui n’existe pas ? » L’homme qui se pose la question se nomme James Vann, surnommé Jim. Il est le père de David Vann, le romancier américain né en Alaska, 53 ans et auteur de, entre autres, l’impeccable « Sukkwan Island » (prix Médicis 2010). James Vann, donc, est le personnage principal d’« Un Poisson sur la Lune », le nouveau roman traduit en VF de son fils David. Ce dernier, une fois encore, fouille l’univers familial, principale source d’inspiration de son œuvre. Et cette fois, avec bonheur, il mêle histoire vraie et fiction pour dérouler encore et encore des thèmes récurrents dans ses romans, parmi lesquels le suicide qui parait fatal dans sa famille et la fascination des hommes qui la composent pour les armes.
Ainsi, très vite, on apprend que James Vann se balade toujours avec, sur lui, un Magnum 44- même modèle que celui de l’Inspecteur Harry, incarné par Clint Eastwood dans les films de Don Siegel. On apprend aussi que James, dit Jim, voyage vers la Californie- l’avion va se poser à San Francisco où l’attend son frère cadet Doug, son « désormais tuteur », la trentaine. Quand il l’accueille, James Vann ne manque de lui dire et répéter : « Je n'ai pas de personnalité, Je ne suis personne ». Jim est devenu un être fragile. Avec des tendances suicidaires. Il passe de l’euphorie au désespoir, des séances de thérapie aux accrochages violents avec les membres de sa famille. La question est là, revient sans cesse, l’obsède : « Où es-tu allé pêcher l'idée que tu allais être heureux ? »
David Vann le fils raconte Jim Vann le père. Et ce voyage avec Doug et Jim à travers la Californie pour trouver son médecin, rencontrer les membres de sa famille. Des amis mais aussi des parents et des ex-femmes. Tous vont essayer de l’empêcher de commettre l’inéluctable, de mettre fin à sa vie. Mais, passionné de pêche et chasse, Jim a déjà bouclé l’étape durant laquelle on écoute l’autre. Il est en dépression, ce qui lui fait dire, évoquant les vagues de la haute mer : « À mesure que tout s'élève autour de toi, la pression ne fait qu'augmenter ». Lui Jim qui s’imaginait dentiste dans un western et aimait les voitures XXL, il s’en prend à tous ceux qui s’approchent de lui. La paranoïa a laissé place au plus profond mal-être, au terrible mal-vivre. A proximité, il y a ses enfants. Jeunes- David, 13 ans, et Cheryl, 8 ans. Ils brillent par l’innocence (apparente, seulement ?) de leur âge- mais l’un comme l’autre, ils ressentent le danger prégnant, l’issue inévitable…
On lit que Jim téléphone à une femme prénommée Jeannette. Il lui dit : « Je t’aime mais ne peux pas vivre sans toi… » puis « Et il n’éprouve pas cette dimension dramatique qu’il avait imaginée. il n’éprouve rien, à vrai dire. il sait qu’il ne le fera pas, qu’il n’appuiera pas sur la détente, et soudain, il le fait ». C’est fini- « Un Poisson sur la Lune » est un roman d’une belle noirceur, aussi précis que le scalpel du chirurgien. David Vann sait, à nul autre, les mots pour décrire la noirceur et les états d’âme d’un personnage- surtout ceux de ce personnage que fut son père. Et c’est ainsi que David Vann s’impose comme un des meilleurs romanciers explorateurs de l’âme humaine…
Un Poisson sur la Lune
Auteur : David Vann - Traduit par Laura Derajinski
Editions : Gallmeister
Parution : 7 février 2019
Prix : 22,20 €