Frantumaglia. L’écriture et ma vie : Elena Ferrante prodigieuse
- Écrit par : Serge Bressan
Par Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Ne pas rêver, ne pas espérer. En refermant « Frantumaglia. L’écriture et ma vie », le mystère Elena Ferrante ne sera toujours pas dissipé. Quatre-cent-soixante-deux pages, et encore la question : qui se cache, depuis bientôt trente ans, derrière le nom d’Elena Ferrante ? Une femme ? Un homme ? Un couple ? Et si Elena Ferrante n’était que le pseudonyme d’une petite entreprise qui ne connait pas la crise ? L’auteur(e) d’une série au succès mondial, « L’amie prodigieuse », se cache derrière ses livres et, dès son premier roman- « L’amour harcelant », avait prévenu sa maison d’édition : « J’ai l’intention de ne rien faire pour « L’amour harcelant », rien qui ne comporte un engagement public de ma personne. J’en ai déjà assez fait pour cette longue nouvelle : je l’ai écrite ; si elle a une quelconque valeur, cela devrait suffire. Je ne participerai ni aux débats ni aux colloques auxquels je serai invitée. Je n’irai pas retirer les prix qu’on jugera bon de m’attribuer. Je ne ferai jamais la promotion de ce livre… » Elena Ferrante ou l’art d’entretenir le mystère. A la lecture de « Frantumaglia » (un mot du dialecte sicilien que lui a légué sa mère pour désigner une bousculade mentale de sentiments contradictoires), on comprend aussi qu’Elena Ferrante n’a rien d’une opération marketing, comme en aime (trop souvent) le monde de l’édition…
Il y eut en 2003 une première édition de « Frantumaglia. L’écriture et ma vie ». En ce début d’année 2009, arrive donc une nouvelle édition, largement augmentée. Trois grandes parties : « Papiers 1991- 2003 », « Cartes 2003- 2007 » et « Lettres 2011- 2016 », pour un assemblage par toujours cohérents de textes inédits, d’hommages et de lettres rassemblés par l’auteure italienne. Trois grandes parties pour (tenter de) expliquer, justifier le pseudonyme et l’anonymat. Au hasard des pages de « Frantumaglia », on lit des lettres adressées à des journalistes qui demandent une interview- on sait qu’elle accepte très rarement et seulement par fax ou par mail (ce qui laisse planer le plus grand doute sur la personne qui rédige les réponses : Elena Ferrante ? une personne de la maison d’édition ?...). Alors, Elena Ferrante telle qu’en elle-même, c’est donc un silence qui ferait œuvre de vérité- peut-être est-ce une posture ? « Je crois que les écrivains n’ont rien de décisif à ajouter à leur œuvre », affirme l’auteure italienne. Et elle assure qu’elle a toujours souhaité protéger les habitants du quartier de son enfance. Ce qui ne l’empêche pas, elle la romancière absente, dans les papiers, les cartes et les lettres de « Frantumaglia », d’évoquer son enfance à Naples, sa mère, sa vision du monde, ses choix politiques ou encore ses préférences littéraires- ce qui donne, par exemple de très belles pages sur Elsa Morante (1912- 1985)… Et c’est ainsi qu’Elena Ferrante est grande, prodigieuse. Parce qu’on ne saura jamais si elle est réalité ou fiction !
Frantumaglia. L’écriture et ma vie
Auteur : Elena Ferrante
Editions : Gallimard
Parution : 3 janvier 2019
Prix : 23 €