Zero K : Don DeLillo, un roman glacé sur le transhumanisme
- Écrit par : Serge Bressan
Par Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Une idée fixe. Prendre la mort de vitesse. Pour y parvenir, choisir de mourir. Et ce peut aller encore plus loin : par exemple, s’imaginer transformé en créature éprouvette en espérant des jours meilleurs… Certes, le thème n’est pas nouveau, a même été traité dans quelques romans mais cette fois, il est pris par le grand romancier américain Don DeLillo, 81 ans, multi-primé et auteur de, entre autres, « Chien galeux » (1978), « Outremonde » (1997) et « Cosmopolis » (2003). C’est « Zero K », l’un des romans les plus importants, les plus réussis de cette année 2017. Interrogé sur ce nouveau roman et le thème du transhumanisme, DeLillo a commenté : « C’est le joueur de base-ball Ted Williams [1919-2002], la légende des Red Sox de Boston, qui m’en a donné l’idée. J’avais lu dans la presse que ses enfants avaient, à sa mort, dépensé 100 000 dollars pour le faire cryogéniser. Sa dépouille a été envoyée dans un laboratoire de cryogénisation de l’Arizona. Là , on lui a coupé la tête- cela se fait, paraît-il, de séparer la tête du corps- et on l’a congelée en attendant qu’un jour, peut-être, des scientifiques le ramènent à la vie »…
En fait, avec « Zero K », Don DeLillo va encore plus loin : « Mes personnages, Artis et Ross, arrivent au laboratoire avant leur mort. Il y a là quelque chose de plus radical. Artis sait qu’elle est condamnée par la maladie, mais Ross, lui, est en parfaite santé. Il fait partie de ces « volontaires de la chambre froide ». Ceux qui ont choisi de renoncer au reste de leur vie pour accéder à ce que j’appelle « un niveau radical de renouvellement de soi ». Mais ce niveau, on ne le voit pas ». Et l’on se retrouve à Zero K (K comme Kelvin, le physicien qui a défini le zéro absolu, soit -273,15 °Celsius), un centre de recherches dans un bunker souterrain dont le principal actionnaire est le très riche Ross Lockhart. Sa femme souffre d’une maladie incurable, il décide de la confier à Zero K et appelle son fils unique, Jeffrey, pour qu’il assiste à la fin programmée de la femme consentante. Ainsi, Ross et Jeffrey Lockhart vont devoir prendre un « congé incertain » de la jeune femme, laquelle s’apprête à abandonner son corps et le livrer aux hypothèses de la science.
Jusque là , l’affaire pourrait banale. Juste relevant des fantasmes de quelques individus. Jusque là … mais voilà que, noyé dans un chagrin immense, Ross Lockhart décide de « s’offrir » le passage dans l’autre dimension- commentaire de l’auteur : « Au début, c’est un désir presque artistique, cette quête d’immortalité. Mais, en fait, Ross est un homme qui n’a rien de mieux à faire, qui est défini par son argent. Il en a tellement qu’à un certain moment de sa vie, il se demande ce qu’il pourrait avoir de plus, avec cet argent. Comme il n’a plus rien d’autre à faire, il décide d’y suivre sa femme ». Un pari pour la promesse d’une expérience unique et inédite : demeurer le même tout en devenant un autre. Problème : son fils Jeffrey ne trouve aucune justification à la décision de son père, et ne transige pas puisqu’il estime « être tenu par un engagement à l’égard de la seule vie qui lui a été allouée ». « Zero K », c’est le roman du transhumanisme, de l’art de mourir, de la congélation dans l’espoir de ressusciter. Certains ont voulu voir dans ce nouveau roman de Don DeLillo un texte de science-fiction- ce que réfute l’auteur : « Ce roman n’est pas de la science-fiction. La question que vous mettez en avant est-elle la question centrale du livre ? L’une d’elles, en tout cas. Car les gens qui vont se rendre à Zero K cherchent de fait à éviter la possibilité d’une catastrophe. Ils veulent prolonger scientifiquement la durée de la vie. Quitte à vivre physiquement cette vie future dans un caisson de cryogénisation. Alors je m’interroge. Si la science devait être capable de le faire, qu’adviendra-t-il de l’âme, de l’esprit, de l’identité de l’être dont le corps serait prolongé ? Qui se réveillera, en somme, après la vie passée dans un caisson ? »
Pour « Zero K », Don DeLillo qui signe là un de ses meilleurs romans s’est documenté mais, explique-t-il, « raisonnablement, pour ne pas être débordé. C’est un sujet scientifique qu’il faut approcher avec beaucoup de précautions. Il faut toujours garder à l’esprit une forme de scepticisme. Et j’ai souhaité aussi montrer que le pouvoir ultime de la technologie, c’est de tenter de répondre à de grandes questions humaines touchant à notre avenir ». D’une écriture puissante, voilà un roman qui pousse loin la réflexion- sur l’immortalité, sur la finitude humaine,… Un roman glacé…
Zero K
Auteur : Don DeLillo
Editions : Actes Sud
Parution : 6 septembre 2017
Prix : 22,80 €