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Me voici : Jonathan Safran Foer, un mariage à la dérive

  • Écrit par : Serge Bressan

Me voici Par Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / On le tient pour le « wonderboy » des lettres américaines. On dit aussi de lui qu’il est « le plus grand écrivain juif depuis Philip Roth ». On le considère, chez bon nombre de critiques outre-Atlantique, comme un « écrivain pour écrivains ». A tout cela, il répond : « Je ne me considère pas comme un écrivain juif, ni new-yorkais, ni américain », et dit également admirer un écrivain de ses contemporains, Jonathan Franzen, parce qu’il « écrit avec ses émotions, mais dans un style très contrôlé. La vertu de l'intelligence émotionnelle ». A 40 ans, Jonathan Safran Foer signe « Me voici », c’est son retour dans le genre romanesque après dix années de silence- excepté « Faut-il manger les animaux ? », un formidable essai paru voilà huit ans, une enquête et un plaidoyer choc contre l'élevage industriel et l'abattage… 

Avec « Me voici », Safran Foer rappelle qu’il est là... et encore bien là. Et pas seulement en signant un livre en forme de pavé, bien épais et lourd sur la balance avec 740 pages ! A la question : pourquoi n'avoir rien écrit depuis dix ans ?, il répond : « Je ne sais pas. Je n'ai pas rien écrit: mon essai sur les animaux. Et « Me voici », je l'ai commencé il y a des années. Durant ces dix ans, j'ai fait deux enfants, déménagé, emménagé, divorcé, enseigné... » Oui, pendant ces années, l’écrivain a vécu la vie qui va. Auparavant, il avait signé deux romans remarqués : « Tout est illuminé » (2002)- un jeune juif américain part en Ukraine dans l’espoir de trouver la femme qui sauva son grand-père Safran des nazis en 1942, et « Extrêmement fort et incroyablement près » (2005)- un enfant new-yorkais de 9 ans dont le père est mort un an plus tôt dans les attentats du 11 septembre 2001 se met en quête de la signification d'une clé laissée dans un vase.
Cette fois, avec « Me voici », c’est la lente et inéluctable décomposition d’un couple juif de Washington, les Bloch, que Safran Foer ausculte, rapporte et raconte. Il y a Jacob et Julia Bloch et leurs trois enfants. A première vue, c’est une famille juive typiquement américaine. A première vue seulement, on s’en doute, sinon comment l’auteur arriverait-il à remplir plus de 700 pages avec une belle histoire ? Donc, on le pressent, chez les Bloch, il va y avoir crise. Peut-être même crises. D’abord, il y a Sam, le fils aîné- à la veille de sa bar-mitsva, il se fait virer du lycée, soupçonné (à raison ?) qu’il est d'avoir proféré des injures racistes. Et puis, il y a Jacob, le père, qui se fait prendre par sa femme quand il envoie des textos pornos à une inconnue. Ce même Jacob qui soupçonne Julia, sa femme, de le tromper avec Mark, un de leurs amis divorcés. Lecteur, on assiste en direct à la dislocation lente, sûre et définitive du couple avec cette précision : « Sam sentit que tout allait exploser, mais il ignorait précisément quand et comment ». En soi, il y a là matière à un bon roman, mais pour un auteur du calibre de Jonathan Safran Foer, ça relèverait du banal, voire de l’ordinaire même s’il n’oublie pas de narrer le comportement d’Argos, le chien qui fait ses besoins partout dans la maison.
Ainsi, Safran Foer introduit un deuxième thème, déplace le roman au Proche-Orient où se prépare un cataclysme. Un tremblement de terre ravage la région, surgit un conflit géopolitique, l’existence de l’Etat d’Israël est mise en péril et le gouvernement de Tel Aviv lance un appel à la diaspora. Alors, le roman revient aux Etats-Unis. Ainsi, les cousins débarquent à Washington chez les Bloch. Le conflit mondial s’invite dans le conflit conjugal… et on y ajoute, avec ces cousins, un choc des cultures, celle d’Amérique du nord et celle du Proche-Orient. Chez Jonathan Safran Foer, il y a des airs beaux et doux qui résonnent comme chez Philip Roth et, au fil des pages de « Me voici », on pense aussi inévitablement à Ingmar Bergman et ses « Scènes de la vie conjugale ». Et on se dit aussi que Safran Foer doit bien avoir une quelconque parentèle avec le fabuleux et délirant Mel Brooks. Dans ce roman au long cours, tout l’auteur qui a, tout jeune, suivi les cours d’écriture de Joyce Carol Oates à l’université est bien là- et encore plus dans les dialogues, un art qu’il maîtrise à la perfection avec un début aussi pétaradant qu’une rafale balancé par un lance-missiles...
Jonathan Safran Foer, c’est aussi des pointes d’humour. Impeccable. Implacable. Exemples : « Les enfants enterrent leurs parents morts, parce que les morts ont besoin d’être enterrés. Les parents n’ont pas besoin de faire venir leurs enfants au monde, mais les enfants ont besoin d’en faire sortir leurs parents », « Tout le monde fut ému, et tout le monde fut persuadé qu’être ému était l’ultime expérience esthétique, intellectuelle et éthique » ou encore « Quand la destruction d’Israël commença, Isaac Bloch se demanda s’il valait mieux se tuer ou emménager dans une maison de retraite juive ». Avec « Me voici », Jonathan Safran Foer signe un roman qui jongle allégrement entre le satirique et le tragique. Un roman démesuré. Donc, furieusement indispensable !

Me voici
Auteur : Jonathan Safran Foer
Editions : L’Olivier
Parution : 28 septembre 2017
Prix : 24,50 €


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