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« Revoir Palerme » : l’ultime parfum de Claudia Cardinale

  • Écrit par : Guillaume Chérel

palerme Par Guillaume Chérel - Lagrandeparade.com/ Constance, la narratrice de Revoir Palerme, raconte l’histoire de sa grand-mère, Rose – qui ne se nomme pas Rose par hasard -, laquelle n'avait jamais quitté Paris, sauf en 1962, pour rejoindre le tournage du film culte « Le guépard », de Luchino Visconti, à Palerme.

De cette époque, légendaire, elle ne conserve que des souvenirs cachés, hormis lorsqu’elle reçoit, chaque année, un parfum à la fleur d'oranger, expédié depuis Palerme. Sa santé déclinant, elle demande à sa petite-fille d'aller en Sicile pour honorer une parole non tenue. Elle avait promis de revenir. Il faut dire qu’elle y a passé trois mois, en tant que costumière, notamment auprès de la jeune Claudia Cardinale, qui vient de nous quitter.

Pour honorer la promesse faite à sa mamie, Constance devra se fondre dans son sillage, telle une détective privée, lors d’une enquête suite à un adultère (ça ne rigole pas, à ce sujet, en Sicile). Or, il fut surtout question d’amour sauvage, dans une ville chargée d’histoire.s. Non seulement, elle devra se fondre (quitte à risquer d’y ouvrir son cœur) mais également la conquérir pour gagner la confiance de ses habitants. Dont un antiquaire truculent, une logeuse commère à ses heures, et une marionnettiste au visage caché.

Constance profite de ses études (en Italien) pour interviewer ses interlocuteurs, dont elle enregistre les voix, tout capturant leur mémoire. A elle de lire entre les lignes et de combler les vides de ce que taisent les cœurs. Très vite, elle se sent chez elle dans des rues de ce grand port de la Méditerranée, face à la splendeur de ses palais, de ses musées, et dans les sortilèges de ses mythes. Qu’ils soient cinématographiques (qui sait qu’aux côtés d’Alain Delon, au firmament de sa beauté, se trouvait un certain Mario Girotti, alias Terrence Hill, futur acteur de westerns spaghettis dans la série Trinita, entre autres) et picturaux (elle livre en partie l’explication du sourire de la Joconde).

Le récit de Magali Discours (qui porte bien son nom) nous plonge dans plusieurs strates de cette saga familiale, pas seulement féminine. Les hommes n’y sont pas catégorisés comme des brutes épaisses, sans émotion, et elle aborde plusieurs thématiques (le désamour, le désir ou non désir de procréer, la « bovarysation », ou ennui au sein des couples, la passion, au contraire, évidemment, mais aussi et surtout la culture, l’Histoire avec un grand H). Elle ne bêtifie pas. Son roman d’amour n’est pas cul-cul-la-praline. Quand les violons commencent à être trop présents, elle sait « pageturner », nous donner envie de continuer à tourner les page pour lire la suite, selon différentes versions, différents sons de cloche.

La mission de Constance, qui était de retourner à Palerme pour demander pardon, au nom de sa grand-mère (afin qu'elle puisse partir en paix) va se transformer en « décrysalidation » d’elle-même. D'abord spectatrice de sa propre vie « d’adulescente », dans les jupons de sa gynécée, passive face à son histoire et à ses blessures qu’elle tait (elle aussi), elle devient peu à peu actrice de son propre destin. Son « voyage à Palerme » n'est pas seulement un reportage géographique, et touristique, il est aussi intérieur (mental). Elle y affronte non seulement ses doutes (comme la plupart des femmes), mais les boulets familiaux. Ce que sa propre mère, et sa grand-mère, ne sont pas permises, ou seulement en partie, pour X-raisons (patriarcat, caractère, etc.), elle, s’est donné le droit de vivre sa vie (et sa sexualité, à peine évoquée, insistons sur ce fait) comme elle l’entend. En renoue avec une forme de confiance (et ses sens, peut-être), et une part d'elle-même, restée jusqu'alors enfouie : sa féminité. C’est insinué, suggéré, car les passages consacrés au rapprochement des corps restent très chastes. Nous sommes dans la Romance soft…

A Palerme, Constance s’est non seulement trouvée elle-même, enfin découverte, elle a trouvé l’amour et s’est créé une nouvelle famille. Grâce à la magie d’une ville singulière, et de ses fantômes, peut-être. Et aux souvenirs fragmentés de son aïeule, toute en pudeur, la vraie héroïne du roman exprime son amour pour l’Italie, en général. « Revoir Palerme » sent le « feel-good-book » à plein nez, mais à la différence de la majorité des autres titres de ce courant romanesque, dit « commercial », il n’est pas à « l’eau de rose » mais fleure bon la fleur d’oranger (de zagara), cette fragrance qui embaume la Sicile au printemps. Au point de devenir un personnage du livre, à la limite du placement de produit (bien joué)…

Ce roman qui-fait-du-bien se s’oublie pas, à peine lu, car, ses qualités littéraires sont nombreuses. A commencer, répétons-le, par la faculté de son autrice à faire appel à plusieurs de nos sens : odorat, donc, mais aussi l’audition, la vision, l’imagination. On y sent aussi les spécialités locales, fritures, agrumes, comme l'iode, la poussière. Il est porté par une écriture sensuelle et empathique. En voyageant dans le passé, comme dans « Retour vers le futur », Magali Discours rappelle qu’il faut vivre ici et maintenant, au présent. Seule manière d’envisager l’avenir avec un minimum de sérénité : Bonu tempo e malu tempu, nun dura tutto tempu, dit-on en sicilien (Bon temps et mauvais temps ne durent pas tout le temps).

Revoir Palerme
Autrice :  Magali Discours
Editions : Maison Pop
Collectio : Voyages Voyages
255 pages 
Prix : 19, 95 €
Parution : 7 mai 2025


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