Par Catherine Verne - Lagrandeparade.fr/ Il est des retrouvailles entre anciens camarades de classe qui ne se passent pas en accolades complices ni effusions joyeuses, mais ont tout du règlement de compte psychopathologique avec meurtres sanglants à la clé.

Autant le savoir avant d'organiser cet été un rassemblement bon enfant en mode Bruel sur la place des grands hommes ou dans un gîte éloigné de tout en Ardèche -surtout éloigné de tout, l'Ardèche étant une option. Th a ainsi imaginé un meurtrier déterminé à assassiner tous ses petits potes du primaire bien des décennies plus tard, la vengeance étant un plat qui se mange comme on sait, froid. Outre cet adage sur la vengeance qui peut attendre, voilà un thriller qui confirme remarquablement que, dans toute bonne enquête criminelle, c'est toujours le moins suspect des protagonistes qui s'avère être le coupable: la concierge débonnaire et serviable qui assassine au pic à glace les habitants du quatrième, le vieux boulanger du quartier qui "adore" les enfants dorés au four, l'affable pré-pubère propre sur lui - si tant est que de tels attributs coexistent jamais- etc. "Hors cadre" ne manque pas à l'appel. On ne met pas le doigt sur le criminel avant les dernières pages, et pour y parvenir, on aura eu la tête qui tourne d'une piste à l'autre, d'un faux-semblant à une ombre fugace, balloté d'erreur sur la personne en illusions d'optiques. L'espace romanesque ici s'apparente en effet à ces galeries de glaces déformantes, aux couloirs innombrables et à l'issue labyrinthique. Pourtant, tout se trouve en évidence sous les yeux de l'inspecteur menant l'enquête depuis le début. Encore faut-il qu'il sache regarder derrière les apparences: celles du passé, à travers une vieille photo de classe, et celles du présent, dissimulée dans les cartons de son déménagement. Car au croisement des pistes géographiques, des ponts et des carrefours routiers qui le conduisent du Danemark à la Suède, l'enquêteur doit démêler un imbroglio temporel où l'horreur des mémoires occulte celle de l'actualité, des horreurs d'ordre collectif autant que personnel car l'intrigue le ramènera même sous son propre toit. Il fallait pour restituer cette atmosphère anamorphotique, un brillant romancier aux talents d'illusioniste, Stefan Ahnhem. L'occasion pour l'auteur de livrer dans le fond une réflexion glaçante sur la façon dont peut se construire une personnalité perverse selon lui. Tout le roman est parsemé d'indices à ce délicat sujet, mettant en scène l'effroyable processus intérieur par lequel l'aigreur des brimades et maltraitances aura fait d'un souffre-douleur un criminel organisé, d'une victime innocente un bourreau minutieux. Au lecteur de suspendre par moments les descriptions gore des scènes de crime en s'interrogeant à son tour: qui sait en effet ce que sont devenus le chétif souffre-douleur du dernier rang, l'hyper timide effacé du premier, ou telle autre bête noire que personne au collège ne pouvait "encadrer"? Au moins ce roman a-t-il le mérite, et ce n'est pas le moindre, ni le moins flippant, de rappeler que tous les criminels ont leurs photos de classe. Rabat-joie Albin Michel quand même...! Merci! Juste avant le bivouac de juillet avec les anciens de Normale Sup... Quand on voit les traces que laissent une mauvaise expérience en CE2, qui sait à quelles perversions -moins inofffensives que le crime journalistique qu'on s'autorise à lagrandeparade- cet ingrat parcours commun en hautes études aura conduit chacun? Et choisir pour destination en amoureux la Scandinavie de Stefan Ahnhem, qui en cette période doit être si belle, ne vaudrait-il pas mieux que ce rendez-vous -qui plus est sentimentaliste entre nous et niais au possible? Ou bien un treck solitaire, une retraite en monastère...? Avec un roman, certes. De préférence de Stefan Ahnhem.

Hors cadre
Auteur: Stefan Ahnhem
Editeur: Albin Michel
Traducteur: Marina Heide
Parution: 7 avril 2016
Prix: 24 euros

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