Une semaine de lecture avec Russell Banks, Antoine Rault et Gabriella Zalapi
- Écrit par : Serge Bressan
Par Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Trois suggestions de lecture pour une semaine : d’abord, on commence l’un des meilleurs écrivains américains contemporains ; ensuite, on enchaîne avec le septième et nouveau roman d’un auteur aussi réputé pour ses pièces de théâtre, et enfin, on se glisse dans le très beau texte d’une plasticienne qui offre là son deuxième et magnifique roman. Bonne lecture !
RUSSELL BANKS : « Oh, Canada »
Avant le dernier souffle, se souvenir ou mourir… Leonardo Fife, surnommé Leo, a 77 ans et se bat contre un cancer, chez lui à Montréal. La fin est proche… Canadien d’origine américaine, il fut un célèbre documentariste- refusant comme 60 000 autres Américains de faire la guerre au Vietnam, il a demandé l’asile politique au pays de l’autre côté de la frontière. Et avec un groupe d’anciens élèves devenus ses amis, il se place face caméra et se raconte- il a exigé la présence de sa femme pour qu’elle sache. Se souvenir… C’est le temps venu des confidences. Se souvenir ou mourir. Dire la vérité vraie ou entretenir la légende, d’autant que la mémoire de Leo se révèle défaillante ? Une fois encore, avec « Oh, Canada », l’écrivain américain Russell Banks signe, à 80 ans et toujours un des écrivains majeurs de l’époque outre-Atlantique, un texte aussi impeccable qu’implacable. Avec ce roman épais et serré qui court sur 336 pages, l’auteur déroule, entre révélations, flashbacks et répétitions, une intéressante réflexion sur la fiction, l’écriture et l’être humain avec ses errements et ses mensonges. On comprend aussi au fil des pages que, conscient de la fin proche, Leo recherche l’ultime rédemption. Aura-t-il eu le temps de confier ses péchés, de révéler ses secrets ?
Oh, Canada
Auteur : Russell Banks
Editions : Actes Sud
336 pages
Prix : 23 €
Voyager : Russell Banks, « géant » des lettres et bourlingueur
ANTOINE RAULT : « Monsieur Sénégal »
Dramaturge d’excellente réputation, Antoine Rault est également romancier. Ce qu’il nous rappelle avec « Monsieur Sénégal », son septième roman. Un texte de belle facture qui transporte lectrices et lecteurs dans les années suivant la Première Guerre mondiale, un conflit durant lequel payèrent un lourd tribut ceux qu’on appela les « tirailleurs sénégalais ». Amadou Lo, 20 ans, n’est pas sénégalais, qu’importe ! A la fin du conflit en 1919, après trois années militaires, il est démobilisé et embauché par le médecin-major qui lui sauva la vie. Il rêvait d’un retour en sa Guinée natale, il se retrouve chauffeur en France-Comté- on lit : « Il pensa que sa place n’était pas là -bas. Et que sa place n’était plus ici ». Il se satisfait de cette vie nouvelle, même s’il est exploité par la famille qui l’emploie et méprisé par la population locale, tant les bourgeois que les employés de maison… Le racisme au quotidien, ce racisme qu’on dit « bienveillant », Antoine Rault le pointe dans des pages où il met au grand jour la veulerie humaine et les « white saviors ». Amadou Lo, dont l’auteur adopte le point de vue et le ressenti, semble prisonnier volontaire, serviteur qui accepte tout en souriant parce qu’il « pensait que sourire était la meilleure façon de se faire accepter ». Un roman magnifiquement anti-raciste.
Monsieur Sénégal
Auteur : Antoine Rault
Editions : Plon
434 pages
Prix : 19,90 €
GABRIELLA ZALAPI : « Willibald »
D’abord, une citation de Saint-Augustin dans « Les Confessions » : « Nous ne pourrions pas rechercher un souvenir perdu si l’oubli en était absolu ». Ensuite, l’incipit : « La salle est surchauffée. Une voix d’homme annonce : « Lot numéro 467 ». C’est leur lot. Silence. Elle ne voit pas les mains discrètes qui font grandir les prix »… Et le bonheur de lecture est immédiat : on plonge dans « Willibald », le deuxième et nouveau roman de la grande Gabriella Zalapi. Après une première venue en littérature avec « Antonia » (2019), la plasticienne d’origine anglaise, italienne et suisse vivant à Paris signe là l’un des plus aboutis, l’un des plus beaux textes de cette rentrée d’été-automne 2022. Nous voilà embarqués dans le sillage de Mara- depuis l’adolescence, elle est hantée par un tableau sur le mur du salon dans son HLM. Willibald qui l’a acheté dans les années 1920 la hante également. Parce que, lors de sa fuite de Vienne en 1938, il n’a emmené que ce « Sacrifice d’Abraham » qu’il avait pris grand soin de plier dans sa valise. Plus tard en Toscane en visite chez sa mère Antonia, elle trouve dans un hangar des lettres de Willibald. A ses questions, la mère dira seulement qu’elle « sait mais ne sait pas ». D’une écriture étincelante, « Willibald » a des allures d’un film de Michelangelo Antonioni- c’est simplement beau, oui…
Willibald
Auteure : Gabriella Zalapi
Editions : Zoé
160 pages
Prix : 16 €