Le vagabond des étoiles : une adaptation remarquable de l'oeuvre de Jack London par Riff Reb's
- Écrit par : Julie Cadilhac
Par Julie Cadilhac - Lagrandeparade.com/ Roman fantastique de Jack London, Le Vagabond des étoiles, publié en 1915 aux États-Unis et en Angleterre, dénonce la brutalité des prisons....et son auteur sait de quoi il parle puisqu’il a lui-même été enfermé pour vagabondage, au pénitencier du comté d'Erié dans l'État de New York.
Le livre raconte l’histoire du professeur Darrel Standing, homme au sang chaud, qui est enfermé dans la Prison d'État de San Quentin, en Californie, en attendant son exécution. Sur ses huit années d'incarcération, cinq ont été passées dans les ténèbres d'un cachot surnommé la « mort vivante », pour rébellion. Il y a subi le supplice de la camisole de force. Pour échapper à cette situation inspportable, il suit les conseils d’un codétenu avec lequel il communique par tapotements contre le mur : il s’auto-hypnose et s’évade ainsi de longues heures par la pensée. Il revit ainsi certaines de ses vies antérieures.
Roman engagé dénonçant le système carcéral américain, cette oeuvre d’une puissance extraordinaire est aussi un hommage à l’imagination. La parution de l'ouvrage a créé - à l’époque - un mouvement d’une telle ampleur que l’usage de la camisole de force a été supprimé pour les détenus de droit commun aux États-Unis et fut à l’origine d'une réforme des prisons en Californie.
Riff Reb’s, auteur de génie, en a fait une adaptation magistrale en deux volumes. Son trait, d’une justesse et d’une expressivité époustouflantes, ainsi que ses mises en scène aux angles et points de vue tout aussi pertinents qu’originaux, restituent avec acuité l’atmosphère singulière de ce chef d’oeuvre littéraire.
Le massacre de Mountain Meadows durant lequel une caravane de pionniers fut victime d’abord des attaques d’Indiens avant d’être trahie par les mormons ouvre le second tome de manière percutante….Le choix d’une palette rougeoyante s’accorde tout autant avec la chaleur ambiante du désert qu’avec la violence de la situation.
L’épisode narrant son incarnation en Ragnar Lodbrog, matelot viking qui devient légionnaire romain, envoyé en Judée, faisant la rencontre de Ponce Pilate, tombant amoureux de Miriam, juste avant que le préfet ordonne l'exécution de Jésus de Nazareth, plonge l’oeil dans des jeux d’ombres et lumières d’une théâtralité jouissive. Vivre le naufrage de Dorothy Foss s'avère une véritable récréation visuelle - tous les adeptes de Riff Reb’s connaissant son talent pour raconter la mer et ses caprices.
Ce Vagabond des étoiles - d’une profonde humanité aux questionnements métaphysiques passionnants - exulte sous le pinceau sensible et « impressionniste » d’un artiste qui prouve, par ses découpages et ses choix narratifs, combien il en fait une lecture approfondie et active au préalable.
Quand une adaptation en bande-dessinée d’une roman classique vous donne envie de plonger ensuite dans l’oeuvre originale, c’est qu’elle est réussie! Challenge relevé avec les félicitations du jury!
Le vagabond des étoiles - Tome 2
Editions : Soleil
Collection : Noctambule
Auteur : Riff Reb’s
Parution : 2& octobre 2020
Prix ; 17,95€
104 pages
Riff Reb’s, raconte-moi la mer !
ENTRETIEN - NOVEMBRE 2014
PHOTOGRAPHIE ©
Dominique Duprez, dit Riff Reb’s est né à Burdeau, en Algérie. Quelques années plus tard, sa famille s’installe au Havre. Il intègre ensuite l’Ecole des Arts Décoratifs à Paris. En 1984, Riff Reb’s fonde avec Qwak l’atelier Asylum, bientôt rejoints par Cromwell, Ralph, Edith, Joe Ruffner… ils travaillent ensemble sur une série de dessins animés, Les Mondes engloutis. Puis son premier album est publié : le tome 1 du Bal de la Sueur. et en 1990, avec Parole de Diable, Riff Reb’s crée Myrtil Fauvette (Les Humanoïdes Associés). Depuis, il a notamment publié aux éditions Soleil « A bord de l’Etoile Matutine » d’après le roman de P.Mac Orlan( en 2009), « Le loup des mers » d’après le roman de J.London (qui a valu le Prix de la BD Fnac 2013) et, cette année, « Hommes à la mer », un recueil de huit adaptations de nouvelles de Conrad, Mac Orlan, Poe, Hodgson, Schwob et Stevenson. Aussi littéraires que poétiques, ces planches vont enivrer le lecteur d’écume iodée et d’histoires sombres. Le graphisme remarquable et minutieux de Riff Reb’s immerge immédiatement le lecteur et l’emporte dans des voyages enthousiasmants tandis que son génie de la mise en scène l’assoit définitivement comme un grand auteur. N’hésitez plus, à l’abordage!
Et si, d’abord, vous nous racontiez votre histoire personnelle avec la mer (et l’océan) ? D’où vous vient cette fascination pour ce thème que vous déclinez (avec talent) depuis plusieurs albums?
Bon, d’abord je vais être clair, je ne suis pas un marin. J’ai assez de respect pour cette vie si particulière pour ne pas confondre mes expériences personnelles avec les métiers de la mer. Ceci-dit ma vie sur les côtes normandes m’a occasionné plusieurs expériences qui viennent alimenter mes adaptations et mes dessins sur le sujet. Les choses ont mal commencé, j’ai failli me noyer au large d’Étretat lors d’une sortie en périssoire étant enfant. Ce lieu merveilleux a d’entrée pris une couleur bien sombre et m’a mis dès l’enfance en position de défiance face la mer. Mon père avait un bateau, au Havre, une petite coque de noix avec laquelle il m’emmenait à la pêche au maquereau et récolter des moules sur de gigantesques bouées au large du cap de la Hève. Ces sorties bien souvent épiques et parfois dangereuses ont été la source de fortes sensations bien utiles pour habiter mes derniers albums. En effet, mon père, à bien des égards, peut être comparé à cet improbable Loup Larsen du Loup des Mers de Jack London. Mon plaisir naturel à me retrouver en mer était en permanence contrarié par les dures expériences que mon père m’y a fait vivre. J’ai aussi travaillé sur le port comme commis de quai dès 15 ans et j’ai donc fréquenté les lamaneurs et les dockers, rudes sensations là aussi. Petits convoyages et présence sur les remorqueurs font partie aussi de mon passé. Ces dernières années, pour des raisons de documentation, j’ai passé de belles journées à bord du Sagress, magnifique bateau -école de la marine portugaise, et sur un vieux gréement bien connu des français, le Belem. Bien d’autres choses restent à dire sur mon lien avec la mer mais ma réalité est tout de même bien différente de mes fictions.
Comment a débuté votre carrière d’auteur de BD?
J’ai relativement essuyé de nombreux refus dans mes débuts mais je n’ai gardé aucune rancœur particulière car en vérité je n’étais pas encore au point. Mon premier album publié, Le Bal de la sueur, une histoire de caboteur piloté par un anti-héros punkoîde dans un univers déjanté, Il a été dessiné à quatre mains avec mon comparse Cromwell. Le gentil succès commercial du livre couronné par le prix de la presse à Angoulême en 1987 m’a permis ensuite de continuer assez facilement dans l’édition.
Avez-vous plongé dans la bulle par goût de la bande-dessinée et d’auteurs que vous adoriez ? Ou Juste parce que vous aviez le trait facile et le mot taiseux? Ou parce que vous souhaitiez mettre en images des mots (livres) qui vous obsédaient?
Mon goût pour la bande dessinée était intimement lié aux auteurs qui la réalisaient. Étant enfant, il s’agissait des classiques que sont maintenant Tintin, Spirou, Lucky Luke… Mon goût a forcement évolué en grandissant mais je garde une tendresse particulière pour ces séries. Mon penchant naturel allait vers le dessin, mais dans ce cadre, j’avais bien conscience qu’il devait obéir à un scénario. Et c’est vrai que c’est à ce moment que les problèmes commencent; quand on n’a pas confiance aux histoires qu’on peut écrire soi- même. Il faut dire aussi que les efforts faits pour dessiner correctement laissent moins de temps pour des efforts à l’écriture. On ne peut aussi bien progresser partout en même temps.
Comment s’est fait le choix des textes présents dans » Hommes à la mer »?
C’est un peu complexe à expliquer et je vais tenter de faire simple. Je pensais faire simplement une adaptation des nouvelles de W. H. Hodgson, mais en fait les nouvelles maritimes de cet écrivain précurseur de Lovecraft ne m’ont pas toutes convaincues. Je n’en avais gardées que deux. Suite à cela mon premier éditeur et ami m’a offert l’édition originale de P. Mc Orlan de À bord de l’Étoile matutine. Dans ce livre de 1921 se trouvaient après l’histoire principale des nouvelles inconnues de moi. Si toutes ne sont pas maritimes, loin de là, elles m’ont toutes frappées par leur qualité et leur potentiel visuel. J’en ai donc pris deux. Le recueil n’était donc plus d’un seul écrivain de la mer, il me fallait alors compléter par d’autres nouvelles d’autres écrivains. Le choix s’est fait alors, par affinité et équilibre, pour l’ensemble du volume. Les sélections pour les extraits de textes accompagnés d’une grande illustration ont été plus faciles. C’est un mélange de différents moments maritimes bien distincts et d’auteurs que je n’adapterai sans doute jamais en bande dessinée et que j’admire pourtant. Dans cette série, j’aurais pu en faire bien d’autres.
Puisqu’on suppose que « choisir » vous a obligé à ne pas illustrer certains textes que vous aimiez, peut-on imaginer qu’il y ait plusieurs tomes?
Bien sûr, choisir c’est aussi exclure. De mon point de vue, tout n’est pas adaptable, jusqu’à ce que quelqu’un me le prouve. Et certes, il y a tellement d’ouvrages dans le domaine de la mer que je pourrai continuer ainsi jusqu’à perdre la vue. Mais ces trois albums constituent, je l’espère, une jolie somme sur le genre et je vais sans doute changer un peu d’horizon.
Vos images sont en noir et blanc, illuminées par une monochromie qui diffère à chaque récit : comment se fait le choix du ton qui éclairera tel ou tel récit?
Et bien, le choix des couleurs se fait en premier par une logique douteuse. Une histoire contient une grande scène de nuit alors je vais choisir le bleu. Une autre sous la mer, alors je vais choisir un vert émeraude. Mais dans une même nouvelle il fera aussi jour, et tout ne se déroulera pas sous la surface de l’eau. Il faudra pourtant que je me débrouille avec ça et le lecteur aussi. Pour les histoires qui ne m’obligent en rien, les couleurs sont choisies arbitrairement en fonction de la place qu’elles vont occuper dans le recueil de manière à ce qu’aucune histoire succède à une autre avec une couleur trop proche. Il s’agit d’un mélange de volonté et de hasard pour ce qui reste, malgré tout, un album concept.
Cet ouvrage, c’était aussi la volonté de faire connaître des textes peu lus? Êtes-vous, comme le grand-père de Nebby, un être qui va chercher au fond des mers des trésors oubliés, des histoires improbables?
Hé ! Hé ! Hé! Bien trouvé, mais vous avez vu ce qu’il en coûte de faire rêver trop fort les esprits fragiles ! Vous savez, c’est, je l’espère, un marché équitable. Je remets en lumière des textes ou des auteurs malheureusement oubliés et d’autres comme Jack London qui le sont moins font rejaillir un peu de leur lumière sur moi. Tout cela n’est finalement qu’une histoire d’amour, des textes, des images et de leur mariage.
De quel récit, en particulier, êtes-vous content de votre adaptation? Et pourquoi?
Oh là là !!! Si je les fais publier, c’est que je suis content de toutes et si je regarde trop, je vais avoir envie de les corriger toutes ou de les refaire. Quand on sent qu’on a terminé et que c’est imprimé, le livre appartient au lecteur. Demande t-on à des parents de jumeaux laquelle des deux progénitures est leur préférée?
Pourriez-vous nous expliquer l’origine de votre pseudonyme, Riff Reb´s ?
Vieille histoire maintenant. Disons qu’il était important pour moi de prendre un pseudonyme pour des raisons personnelles. D’autre part, j’étais à l’époque très impliqué dans le mouvement punk-rock. Riff Reb’s se traduirait par: accord (de guitare) rebelle. Mais c’était aussi pour le fun et je voulais quelque chose qui sonne et dont on se rappelle… quand on a réussi à le mémoriser, ah, ah ah.
Avez-vous déjà travaillé sur des ouvrages n’évoquant que la terre ferme… où avez-vous besoin, à une planche donnée, de dessiner les ressacs et l’écume?
Bien sûr la mer à ce point n’est qu’une rencontre assez récente mais finalement très cohérente. J’ai fait de la science-fiction aussi et des livres jeunesse qui n’ont rien à voir de près ou de loin avec l’océan. Ce que je cherche, c’est d’abord une bonne histoire, le sujet vient après.
Enfin, avez-vous déjà eu l’occasion d’exposer vos planches? Si non, est-ce que les lecteurs peuvent espérer que cela se produira un jour?
Oui, bien sûr, il y a eu déjà beaucoup d’expositions sur mes deux albums précédents. Une exposition est en cours à Canteleu et d’autres sont prévues. La prochaine sera au Havre au Sonic durant tout le mois de novembre. Une grande et belle exposition sera faite au mois de juin 2015 au Festival BD d’Amiens et une exposition-vente à la Galerie Daniel Maghen à Paris en septembre 2015.
Hommes à la mer
Auteur: Riff Reb´s
Editions: Soleil
110 pages
Collection: Noctambule
Parution: 29 octobre 2014
Expo Riff Reb’s à la Galerie Daniel Maghen du 23 septembre au 17 octobre 2015
Au coeur de la tempête, un loup des mers attirant
Humphrey Van Weyden , critique littéraire renommé, est sauvé des eaux ,suite à une tempête qui a coulé le ferry dans lequel il voyageait dans la baie de San Francisco, par un étrange équipage. A la tête de la goélette Le fantôme, un être effrayant , Loup Larsen se prépare à aller chasser le phoque non loin des côtes japonaises pour revendre à bon prix leurs peaux. Prisonnier du capitaine, Humphrey va devoir participer à l'aventure périlleuse et va vivre de longues semaines de cauchemar durant lesquelles, paradoxalement, le nanti qu'il était deviendra un homme. Riff Reb's a adapté librement le roman de Jack London avec beaucoup de talent. Le graphisme, d'abord est superbe : choisissant d'user d'une tonalité monochrome pour chaque chapitre, il accentue avec pertinence la noirceur abyssale de cette odyssée maritime. Son trait saillant et précis cisèle à la perfection chaque personnage et restitue bien l'atmosphère de huit-clos sur le bateau. Son scénario est fluide et restitue avec pertinence l'univers de Jack London. On a le plaisir d'y côtoyer une langue élégante et un propos passionnant. L'auteur fait de Loup Larsen un être charismatique, irradiant de puissance animale et intellectuelle…et il effraie le lecteur autant qu'il le fascine. Une bande-dessinée que l'on vous recommande vivement !
"Mon tort à moi, à moi, est d'avoir mis le nez dans les livres"
Le loup des mers -
Librement adapté de Jack London
Auteur: Riff Reb's
Editions: Soleil
Collection: noctambule