Une vie de moche : une réflexion pertinente et émouvante sur la différence et l’essence même de la féminité
- Écrit par : Julie Cadilhac
Par Julie Cadilhac - Lagrandeparade.com/ Guylaine est née disgracieuse. Du moins est-ce l’image que lui renvoie le monde autour d’elle, à part ses parents que la subjectivité de l’amour rend aveugles et qui ne cessent de lui dire qu’elle n’a rien d’anormal. Dès petite, elle ressent sa différence et même en grandissant, aucun artifice ne semble être assez efficace pour la replacer dans une bienheureuse normalité.
François Bégaudeau raconte avec une remarquable sensibilité l’histoire de cette fille qui se contraint longtemps à rester invisible pour ne pas imposer aux autres sa présence disgracieuse, qui se marginalise un temps pour tenter de se sentir moins singulière et qui passera les quatre premières décennies de sa vie à observer les autres aimer et être aimé.e, construire des relations et aspirer à des carrières gratifiantes. Si cette fiction touche au plus profond le lecteur, la qualité de ce récit réside surtout dans les réflexions de Guylaine autour de l’isolement auquel la contraignent la dictature de la beauté de ce monde et les idéaux dans lesquels l’on enferme l’idéal de la féminité. A vingt ans, Guylaine pense qu’une vie sans homme est une vie de perdante, parce que la société autour d’elle s’acharne à lui inculquer ce principe comme une évidence.
[bt_quote style="default" width="0"] Une vie sans garçon n’était pas une vie. Les films et les livres montraient des filles éteintes tant qu’elles sont seules, et rallumées quand elles ne le sont plus. Dans les films et les livres et la vie, une fille, pour tenir debout, devait s’accrocher au bras d’un garçon. Ma mère avançait dans la vie au bras de mon père. Comme les parents de Gilles. Comme les Guérin, qui venaient souvent dîner. On disait « les Guérin ». Ils formaient un attelage inséparable. Je ne les voyais jamais l’un sans l’autre. Ils étaient organiquement nécessaires l’un à l’autre. Une femme sans homme n’était pas viable. Je n’étais pas viable. [/bt_quote]
Les dessins de Cécile Guillard restituent avec finesse les émotions traversées par leur caractère impressionniste, leur dichromie sensible et une représentation de Guylaine qui rend hommage, en un sens, à sa « beauté » spécifique.
Un roman graphique émouvant et intelligent qui nous invite à sortir des conventions sociales imposées par la société, à mettre de côté les stéréotypes de beauté véhiculées par la dictature du paraître et à réparer ses blessures narcissiques en allant vers ceux et celles qui proposent d’autres alternatives gratifiantes. Faîtes du théâtre, du sport, chantez, dansez, cuisinez, plongez dans les salles sombres des théâtres ou des concerts…Vous êtes comme vous êtes et il est temps d’inventer vos propres sources de satisfaction qui seront, à n’en pas douter, tout aussi enrichissantes que celles que les contes de grands-mères nous assènent depuis des siècles!
Une vie de moche
Editions : Marabout
Collection : Marabulles
Parution : 2 octobre 2019
Scénario : François Bégaudeau
Dessin : Cécile Guillard
208 pages
Prix : 25€