Christophe Dabitch : trois bds de qualité dans lesquelles plonger à plaisir !
- Écrit par : Guillaume Chérel
Par Guillaume Chérel - Lagrandeparade.com/ Christophe Dabitch (51 ans) réussit le tour de force de réunir journalisme (son ancien métier), littérature et BD, pour en faire une œuvre d'art et de mémoire. Aucun des sujets qu'il a traités jusque-là (Jéronimus, à caractère historique ; Salvador Allende, politique ; Rimbaud ; le Flamenco... la fessée) n'a de rapport les uns avec les autres, mais tous ont un point commun, ils ont du sens, disent notre monde humain, trop humain. Son dernier opus, réalisé avec le virtuose Jorge Gonzalez au dessin, intrigue par son titre énigmatique : Mécaniques du fouet : vies de Sainte Eugénie. Sainte, faut le dire vite ! Pas ni touche... en tout cas. Car si Eugénie Guillou fut religieuse (nonne) - après avoir été institutrice - elle devint « maîtresse de la fessée », et du fouet (plus précisément des mises en scène sexuelles en maison close clandestine). Christophe Dabitch a enquêté, aux archives de la police de Paris, sur sa vie et en a tiré un récit subtil, mystérieux, sans jamais tomber dans le salace (pareil pour les illustrations de Gonzalez), ni à l'hagiographie.
Nous sommes dans le Paris du début du XXe siècle. On la surnommait « La Religieuse ». Comment en est-elle arrivée là ? Le nouveau Rouletabille, Dabitch, tente de comprendre ce qui a pu se passer dans sa tête, lorsque confrontée aux épreuves de la vie, elle en arrive à de tels extrêmes, au point d'entrer dans la BD, où il est carrément campé en train de suivre Eugénie à paname. Rappelons qu'une femme, à cette époque, devait faire un bon mariage si elle voulait vivre décemment. Eugénie voulait être indépendante et inventer sa vie. Les religieuses (donc Dieu) l'ayant rejeté (on suppose pour des actes saphiques et sans doute sa liberté de parole), elle s'est intéressée, allez savoir pourquoi et comment, au « théâtre du fouet » (rapport au supplice du Christ, sans doute). Disparue, morte, oubliée ? Elle n'a laissé que quelques pistes. Dont une, retrouvée quelques jours avant de lancer l'ouvrage en impression (quel suspense !) sur sa supposée fin de vie. Christophe Dabitch a failli renoncer à l'entreprise puis, comme s'il avait communiqué avec Eugénie (par télépathie ? via un médium ? Ou juste poussé par sa femme...), mais il s'est finalement laissé convaincre. Au point de parler avec elle, et en son nom, comme s'il avait été habité par elle : « Laisse-moi t'appeler mon chou. Ce n'est pas vraiment mon style... ça fait pute (...) ça doit te plaire puisque tu vas raconter mon histoire. »). Sainte Eugénie le valait bien. Elle qui ne voulait faire que le bien. Avec l'aide de Jorge Gonzales, qui sait également changer de style, de forme (et de couleurs, de rougeoyantes à sépia, gris pellicule de cinéma), elle l'a forcé à lui former son fantôme. Un petit chef-d'oeuvre graphique et littéraire !
L'occasion ici de rappeler deux autres sublimes romans graphiques de Christophe Dabich, avec Flao au dessin, cette fois, en noir et blanc, sur le thème du Flamenco : Historias de Soleas 1 & 2. Manuel, est originaire d'Andalousie mais il a vécu en France jusqu'à ce qu'il décide de revenir s'y installer. Il a un ami gitan qui se nomme Benito, chanteur hors norme. Manuel et Benito sont inséparables. Ce qui lie avant tous les deux jeunes hommes, c'est non seulement l'amitié mais l'amour du flamenco, le vrai, le pur, pas le flamenco rock comme peuvent le jouer certains frimeurs méprisables (mais qui, à contrario, gagnent très bien leur vie : clin d'œil aux Gipsy Kings). Ces « mauvais garçons » vivent au jour le jour. Seul l'amour des femmes, parfois, leur fait tourner la tête. Alors, quand Manuel tombe amoureux de la belle Katia, assistante sociale auprès de gitans, la rivalité pourrait s'installer... car le véritable amour c'est à la mort. Encore une fois, en peu de mots, Dabitch parvient à transmettre la force émotionnelle du flamenco. Les dessins précis de Flao remplacent le son, comme par miracle. Un régal.
Biographie:
Christophe Dabitch est né à Bordeaux en 1968. Après une maîtrise de lettres à la Sorbonne, de sciences politiques à Paris et l'IUT de journalisme à Bordeaux il devient journaliste indépendant. Il anime des rencontres littéraires et devient critique. Il est l'auteur d'un carnet de voyage en compagnie du dessinateur David Prudhomme : Voyages aux pays des Serbes, éditions Autrement, publié en 2003.Il écrit des scénarios de bande dessinée,notamment Abdallahi et Jéronimus avec Jean-Denis Pendanx ou La Ligne de fuite et Mauvais garçons avec Benjamin Flao.
Jorge Gonzalez est né en Argentine en 1970. Il vit en Espagne actuellement. Il a publié une dizaine d'ouvrages en Espagne ou en Amérique Latine dès 2004. Il a collaboré en France chez Dupuis. On lui doit Le Vagabond, Bandonéon, Chère Patagonie ou encore Retour de Kosovo avec Gani Jakupi sous le patronage de Amnesty International déjà avec Futuropolis.
Benjamin Flao est né à Nantes en 1975 dans une lumière douce. Puis sont arrivées les odeurs d'école qui font mal au ventre. Alors on dessine. Et puis après l'école, c'est la liberté de tout envoyer promener, y compris soi-même. Ensuite on fait des peintures sur les murs, des livres, des enfants, encore des livres parce qu'on ne peut pas vivre tout nu sur l'océan et puis on vient à Niort pour voir comment que c'est, et après... Benjamin Flao est un des dessinateurs les plus talentueux de sa génération. Lauréat 2003, pour Carnets de Sibérie, du prix Lonely Planet (Clermont- Ferrand, Biennale du carnet de voyage), il a cosigné depuis Sillages d'Afrique, La Ligne de fuite, Mauvais garçons et surtout l'exceptionnel Kililana Song, chez Futuropolis. il vit près de Lyon.
Mécaniques du fouet : vies de Sainte-Eugénie
Editions : Futuropolis
Auteurs : Christophe Dabitch et Jorge Gonzales
207 pages
Prix : 25 €
Parution: 24 septembre 2019
Historias de Soleas, Tome 1 & 2
Editions: Futuropolis
Auteurs : Christophe Dabitch et Benjamin Flao