Sylvain Escallon et Couleurs : "J’aime les espaces, les grandes cases."
- Écrit par : Julie Cadilhac
Par Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ Originaire de Montpellier où il vit et a fait ses études supérieures d’arts graphiques (à l'IPESAA), Sylvain Escallon est un jeune auteur de romans graphiques à suivre de près. Après "Les Zombies n’existent pas" et "220 Volts", il signe chez Sarbacane une nouvelle histoire où le héros, un peintre du nom d'Herman Desonge, se réveille dans le wagon d'un train dans un état de fatigue extrême. Il ne se souvient de rien. Face à lui, un homme à lunettes engage la conversation et lui propose de l'héberger. Très vite, chaque nuit, le jeune homme entre dans une transe hallucinatoire et peint des toiles dont il ne se souvient plus le lendemain.
Sylvain Escallon nous conte ce cauchemar schizophrènique au travers d'un roman graphique où les dessins sont bien plus bavards que les phylactères et les récitatifs. A mi-chemin entre la poésie, le fantastique et le thriller, "Couleurs" a capté notre attention au plus haut point et l'on a voulu vous faire rencontrer son démiurge...
En matière de mentors d’un point de vue scénaristique et graphique, qui citeriez-vous? Pour Couleurs, quelles ont été vos sources d’inspiration?
Pour Couleurs, je peux citer « la Tour » de Schuiten & Peeters, « Ici-même » de Tardi & Forest ou les histoires de Toppi, pour l’homme dépassé par le monde, pour la poésie et l’ambiance. Ces albums restent des sources d’inspirations constantes, ce sont des contes.
Essentiellement du noir et blanc, cela se justifie, évidemment, dans cette histoire, mais est-ce une tendance graphique que vous prisez tout de même particulièrement?
J’ai toujours privilégié cette manière de faire, pour son côté direct/radical. Il y a quelque chose de fort dans le noir&blanc que je ne retrouve pas en couleurs, une lumière aveuglante.
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Comment est né ce cauchemar onirico-fantastique?
Ce sont d’abord des scènes, celles de la thérapie par exemple, qui me sont venues. L’histoire s’est construite autour de ces quelques passages clés, et j’avais envie de faire une intrigue dans ce genre d’ambiance que j’affectionne, avec peu de personnages, ni époque ni lieu précis : une bulle, une histoire intemporelle.
Peu de texte, l’image raconte beaucoup…c’est une marque de fabrique?
Peut-être, j‘ai une préférence pour les albums où il y beaucoup à regarder et peu à lire (même si je reste un lecteur régulier de romans). J’aime les espaces, les grandes cases.
Vous hachurez, jouez beaucoup sur les effets d’optique si bien que le lecteur ressent visuellement le malaise de ce personnage qui a perdu la mémoire…Ces effets ont-ils précédé les premiers crayonnés? En d'autres termes, vous semblaient-ils indispensables pour raconter cette histoire avant même d'avoir commencé à la dessiner?
Il était prévu depuis le départ d’entrer dans une ambiance énigmatique, de jouer graphiquement sur le contraste entre l’instabilité du personnage principal et un décor quasi immobile. Certains passages indécis ont surgi au cours de la finalisation du dessin, c’était un travail d’une grande liberté.
Un thème revient ; celui d’une colonie de fourmis…Cela nous évoque l’idée de l’infiniment petit et l’infiniment grand et la sensation accrue d’être à la merci d’un monde qui vous dépasse…et pour vous?
C’est exactement ça ! Au final, peu importe la taille de la bestiole, humain ou fourmi : on suit souvent une ligne toute tracée, initiée par d’autres. Le labeur déraisonné, qui a perdu son sens pour l’individu. Cela replace l’homme à son état d’animal sur la Terre, un insecte assez nuisible par ailleurs.
Avant le chapitre 1, on découvre un prologue superbe, silencieux et poétique. Voudriez-vous nous en parler?
Avec cette introduction, le but est de faire une entrée en matière hors du lieu de déroulement de l’histoire. Renforcer l'idée d’isolement de l’histoire, comme une « bulle cauchemardesque » pour laquelle on ne peut pas grand-chose, dans une enveloppe de coton : la nature sauvage qui correspond à l’idée de liberté.
Qu’est-ce qui vous séduit particulièrement en bande-dessinée? L’éclatement du découpage classique pour faire vivre la page autrement? Les changements de points de vue? Avez-vous des marottes?
J’aime les histoires singulières, les héros perdus. Et l’idée que la forme sert le fond me plaît beaucoup, quand le dessin fait partie du scénario : je trouve que le travail de composition d’une double page est la partie du processus de création la plus plaisante. L’idée de manipulation revient souvent dans ce que j’ai envie de raconter, la notion de mémoire aussi.
Vous avez travaillé particulièrement la question du regard. La plupart des yeux sont cachés ( par des lunettes ou autre) et lorsque l’oeil est montré, alors il transperce et est transpercé...Cette impression définit-elle bien votre volonté esthétique?
Le regard évoque une personnalité. Dans cette histoire, la compréhension dépend de celui qui raconte, du point de vue de chacun : le regard du clochard, c’est celui du recul et de l’expérience qui font de nous des êtres désabusés. Le regard du héros est neutre, naïf, instantané tandis que le regard de certains est flouté, calculateur, malhonnête.
Enfin....histoire de dépasser le cadre de "Couleurs", travaillez-vous sur un autre projet en ce moment? Voudriez-vous nous en parler?
Je travaille sur une histoire dans laquelle on retrouvera des traits en commun avec Couleurs, l’idée de la nature omniprésente et d’une dose de noirceur inextricable. Avec un enfant pour personnage principal, qui se retrouve constamment pris entre le réel et sa propre imagination. Je n’en dis pas plus, l’idée s’étoffe petit à petit...
Couleurs
Editions: Sarbacane
Auteur : Sylvain Escallon
Parution : 1 mars 2017
Prix : 18,50€