Hélène Suzzoni : Ecrire, pour accompagner l'autre sur son chemin
- Écrit par : Claude Clément
Par Claude Clément - Lagrandeparade.fr/ Rien ne peut empêcher Hélène Suzzoni d’écrire ! Ni sa pigeonne, Victoria, quand elle vient lui picorer la tête pendant qu’elle est au clavier de son ordinateur. Ni sa chatte Minoushka, qui l’a suivie fidèlement et discrètement jusque dans ses périples au Japon et en Chine. Car, depuis son enfance sur les sentiers de Corse, Hélène Suzzoni cueille les fruits de son imagination pour concocter des festins d’histoires qu’elle partage avec sa famille et ses amis, tant humains qu’à poils ou à plumes. Pour elle, écrire c’est se sentir pleinement en vie, offrir de la force et du doux pour accompagner ses lecteurs pendant un bout de chemin. Écrire, c’est aussi prodiguer généreusement ses émotions. Et quand celles-ci se parent des couleurs des illustrateurs ou des illustratrices qu’elle aime, le cadeau n’en est que plus beau. Alors… profitons-en !
Hélène, votre inspiration, qui semble très proche de la nature, est-elle due à votre enfance en Corse ?
Mon enfance s'est partagée entre le continent et la Corse. À Paris, je me sentais en cage et me réfugiais souvent près des plantes de notre appartement. À Moltifau, je courais les montagnes, j'avais de grandes conversations avec elles. Je les aimais, je les aime toujours comme on aime un être de chair et de sang. Elles m'ont tant raconté, tant montré, tant donné ! En Corse, les montagnes et le ciel se mélangent, s'ouvrant sur un indicible sentiment de liberté. Mon imaginaire et la réalité que j'aborde s'entremêlent de la même façon...
Comment êtes-vous passée de l’imaginaire à l’écriture et de l’écriture intime à l’envie de la partager avec un public ?
Cela s'est fait tout naturellement. J'ai dû avoir très tôt un imaginaire qui bouillonnait et voulait à tout prix se déverser à l'extérieur. Avant même de connaître entièrement mon alphabet, je tentais déjà de fixer par écrit les histoires qui me venaient. La plupart des enfants dessinent. Moi, je couvrais de signes tous les bouts de papier que je pouvais chiper et gribouillais pour moi seule des aventures que je me racontais à mi-voix. Cette petite fille assise par terre, appuyant trop fort sur la mine de son crayon, et se chuchotant passionnément des mots, était sans doute cocasse à regarder!
Petite, je me sentais surtout à l'aise avec les animaux, les plantes, et les personnes âgées. Et puis, j'ai découvert que je pouvais plus aisément communiquer avec les enfants de mon âge lorsque je leur contais une de mes histoires. C'était comme ouvrir la porte de ma maison, et m'asseoir en leur compagnie...A sept ans, j'ai écrit mon premier poème. Mon père en était si content qu'il l'a recopié sur un beau papier tout blanc. Et deux ans plus tard, une maîtresse d'école a imprimé une de mes poésies dans le journal de la classe. Voilà qui encourage au partage!
Qu’est-ce qui a déclenché en vous le désir de passer une licence de Langue et Civilisation Japonaise, puis de voyager dans ce pays et également en Chine ?
Entre 4 et 10 ans, mes nuits ont accueilli régulièrement un rêve qui se déroulait en deux temps. J'étais d'abord un oiseau. Je ne voyais que ses ailes, de grande envergure, et l'immensité du ciel. Puis, j'étais un homme, de type asiatique, se tenant debout devant un petit avion. Je savais que cet homme aussi me représentait. Ce rêve m'a fortement impressionnée, et très tôt, je me suis passionnée pour les pays d'Asie. J'ai commencé par la Chine avec les romans de Pearl Beck. Puis je suis allée irrésistiblement vers le Japon. Après l’obtention de mon baccalauréat, je me suis aussitôt inscrite aux Langues O. Je n'ai pas eu ce fameux « choc de culture » dont on m'avait tant entretenu. Et l'apprentissage de la langue nippone s'est faite en douceur et grande harmonie. Je suis donc partie au Japon pendant deux ans environ. Je m'y serais sans doute fixée si j'avais pu emporter avec moi ma famille et mon village ! D'ailleurs, j'avais déjà à mes côtés ma chatte, Minouchka ! J'ai gardé au cœur une certaine nostalgie qui m'a poussée à écrire un conte en Japonais : « Yumi et le betobeto », que j'ai également traduit en Français, et qui a été publié chez L'Harmattan, dans la Collection des 4 vents.
J'ai aussi traduit, pour Casterman, « Hipira », une histoire « jeunesse » écrite par Otomo Katsuhiro, et illustré par Kimura Shinji. Par la suite, j'ai voyagé assez longuement, et à plusieurs reprises, à Taïwan et en Chine, lors des expositions de mon mari, un peintre chinois, spécialisé dans les paysages à l'encre de chine. Et les peintures chinoises classiques s'accompagnant de poésie, il m'est arrivé de faire une adaptation poétique d'un certain nombre de ses poèmes pour une de ses expositions en France.
Écrire, pour vous, c’est un acte comment ? Serein ? Inquiet ? Facile ? Pénible ? Léger ? Apaisant ? Vital ? Gourmand ? Anodin ? Urgent ? Excitant ? Autre ?...
Écrire, c'est arrêter le cours du temps, me donner un sentiment d'éternité durant une poignée d'heures. Écrire, c'est m'approprier la réalité, me sentir pleinement en vie, m'accorder cette magie d'exister sous de multiples formes, m'emplir de toutes sortes d'émotions que je partage avec mes personnages. Écrire, c'est me donner la force de traverser les tempêtes. Écrire, c'est me dire qu'il y a quelqu'un, de l'autre côté qui puisera peut-être dans sa lecture quelque chose de beau, de grand, de doux, susceptible de l'accompagner et de l'aider sur son chemin... Et comme c'est tout cela, et plus encore, écrire est facile, pénible, apaisant, haletant, vital, urgent, douloureux, excitant, joyeux, nécessaire...
Écrire, est-ce la seule forme d’art que vous pratiquez ? Avez-vous d’autres occupations en dehors de l’écriture ?
Enfant, je rêvais d'apprendre le violon et le piano. Cela n'a pas été, et l'écriture est donc restée ma principale forme d'expression.
La présence d’animaux tels que votre chatte Minoushka et votre pigeonne Victoria (Vévé pour les intimes) a-t-elle une influence sur votre état intérieur lorsque vous écrivez ? Sont-ils parfois source d’inspiration ?
Ils sont déjà source d'amour. Et l'amour est un beau temps de respiration. D'où le dynamisme de l'inspiration ! Ceci dit, nos compagnons à plumes et autres, savent également nous éviter le burn out. Essayez de continuer à tapoter sur votre clavier avec un oiseau, exaspéré par l'heure qui tourne, et qui sautille sur votre tête, ou un chat, perdant patience, qui vous chatouille le nez avec la pointe de sa queue !
Écrire des poésies et parvenir à les publier semble une sorte de défi dans le paysage éditorial actuel. Cela a-t-il été difficile pour vous ?
Avant de rencontrer l'illustratrice, Lucie Vandevelde, je n'avais jamais songé à faire publier mes poésies. En fait, tout est parti de l’une de ses expositions qui avait pour thématique : la lumière. Elle m'avait demandé d'écrire quelques textes. J'en ai fait des poèmes, elle m'a répondu avec la force de ses images. Des créations d'une telle résonance! Il nous a alors semblé essentiel de pérenniser notre travail sous la forme d'un album. Notre duo était né ! Démarcher n'a pas été simple, mais pas excessivement difficile non plus. Il a suffi d'une rencontre au Salon du Livre de Paris avec Caroline Pérot, l'éditrice des P'tits Bérets, qui a eu un vrai coup de cœur pour notre projet ! Et elle n'a pas hésité à ouvrir, pour nous, une nouvelle collection. Depuis, notre projet s'est étendu à la publication de 7 albums poésie jeunesse, avec, pour chacun, un thème portant sur la nature. Deux d'entre eux sont déjà parus : « Poèmes d'ombre et de lumière », et « Poèmes sous le vent ». Les deux prochains : « Poèmes de tiges et de rameaux » et « Poèmes sur le fil de l'eau » sortiront en mars et septembre 2017. Et nous nous apercevons, au vu des retours des enseignants, des bibliothécaires, des enfants, des parents, et des blogs spécialisés en littérature jeunesse, qu'il existe une très forte demande en poésie jeunesse contemporaine!
Vous avez écrit également des romans, dans la collection J’aime Lire, chez Bayard. Y exprimez-vous d’autres choses que dans les contes ou dans la poésie ?
La forme est différente. Chez Bayard, je me suis pliée aux exigences éditoriales, et mon style d'écriture est relativement simplifié. Ce sont des textes, par exemple, où la vie quotidienne est plus présente. Comme dans : « La honte de Takao » qui est une histoire intimiste, familiale, se déroulant au Japon, avec le spectre du chômage. Ou « Simon, l'ami de l'ombre » qui raconte l'exode mais aussi l'amitié, la solidarité, la compassion, et la fraternité entre les peuples... Mais ce que j'exprime, finalement, est de la même teneur que dans les contes et la poésie : mon amour pour tout ce qui est vivant !
Vous avez publié chez Minots Éditions ainsi qu’aux Petits Bérets et chez l’Hamattan, qui sont de petites maisons indépendantes. Mais vous avez également publié dans de gros groupes éditoriaux tels que Bayard et Casterman. Quelles différences d’expériences cela vous a-t-il apporté ?
C'est vrai que chaque maison d'édition a ses particularités, ses exigences, ses libertés, et son désir, très fort, de faire « le » beau livre ! Le fait de publier également dans de petites maisons indépendantes m'a énormément appris et m'a davantage ancrée dans les réalités de l'édition. J'ai le sentiment d'y être impliquée à cent pour cent, et je peux suivre toute l'évolution du projet jusqu'à son aboutissement. Ainsi, je me passionne pour le type ou la qualité du papier, le format de l'album, le choix de la typographie, la quatrième de couverture, le savoir-faire du diffuseur, la vie de l'album après la publication, etc… Mais que la maison soit grande ou petite, j'ai trouvé, dans chacune d'elle, des interlocuteurs avec lesquels j'ai eu de vrais échanges, et avec qui j'ai encore beaucoup de plaisir à travailler!
On demande souvent aux auteurs si ce sont eux qui choisissent leurs illustrateurs, s’ils ne se sentent pas trahis par les images, etc… Je ne vous poserai pas cette question mais simplement, comment se sont déroulées les rencontres entre vos mots et les images de ceux et celles qu’ils ont inspirés.
Ma rencontre la plus marquante, tant sur le plan humain que créatif, est certainement celle avec Lucie Vandevelde. Car quel est l'auteur, ou l’illustrateur, qui n'a pas rêvé de trouver son âme sœur, son alter ego ? C'est une sorte de dialogue créatif qui s'est immédiatement instauré entre nous. Lucie dit qu'à la lecture de mes textes, « les images lui viennent comme une évidence ». Et moi, quand elle m'envoie ses illustrations, j'y vois l'âme, l'essence même, de ce que j'ai écrit.
Avez-vous des projets en cours ? Livres ? Voyages ? Nouveaux projets de vie ?
Les projets en cours sont multiples : Les poèmes, et donc, encore au moins cinq albums poésie jeunesse programmés chez Les P'tits Bérets. Un album « histoire », avec toujours Lucie pour les illustrations, sortira en septembre prochain chez Les Minots. J'attends de finaliser une sorte de roman avec une autre maison d'édition pour me lancer dans la rédaction d'un nouvel album commandé par Les Minots. Et dans les projets à venir : La rédaction de romans jeunesse me permettant d'explorer des pistes nouvelles pour moi. Et...j'adorerais me lancer dans un scénario de roman graphique- j'ai peut-être même déjà trouvé un complice ! Après, c'est un peu du long terme mais... j'ai en tête deux romans de littérature générale. Et pour le cadre de vie, je sais qu'un jour, je retournerai à la maison ancestrale, là -haut, dans mes montagnes. C'est une vieille bâtisse au rez-de-chaussée taillé dans le rocher, pleine de souvenirs, de présences impalpables, et dont l'énorme et unique clef se tourne en joignant la force des deux mains.
Quelques liens pour retrouver Hélène Suzzoni :
http://repertoire.la-charte.fr/repertoire/i1272-helene-suzzoni
http://www.editionslesminots.com/