L’île des Porte-Chance : un roman initiatique, un roman d’aventure, porté par des personnages forts, dans un monde original
- Écrit par : Sylvie Gagnère
Par Sylvie Gagnère - Lagrandeparade.com/ La Terre ne tourne plus. Chaque région est alors éclairée, ou non, selon sa position au moment de ce brutal arrêt. Sur l’île d’Aube Grise, il ne fait jamais tout à fait jour, ni jamais tout à fait nuit. Au midi, la lumière baigne en permanence le continent. Les Terres obscures ne connaissent que celle de la fin de nuit, tandis que le territoire de la Dernière nuit est plongé dans une obscurité éternelle.
Émérance Esperandieu vit sur l’île d’Aube Grise, où son statut de Porte-Chance lui a permis de s’installer et d’acquérir une place enviée, en monnayant son don pour assurer au Conseil la réussite de ses projets. Elle a adopté Lou, un petit orphelin qui se révèle être lui-même porteur du don. Tout irait pour le mieux si de nombreux habitants des Terres Obscures ne débarquaient pas sur les plages de l’île, fracturant la population entre ceux qui souhaitent les accueillir et ceux à qui ils font peur. Il se passe des choses étranges en Fin de Nuit, des choses terribles qui poussent les gens à s’enfuir, coûte que coûte, pour survivre.
Entre les tenants de l’accueil des immigrés et ceux qui les rejettent, le ton monte rapidement et la violence s’installe. Tandis qu’un meurtre est commis et que son passé lui revient en pleine face, Émérance décide d’envoyer son fils au Midi, pour le protéger. Sans compter que les Porte-Chance – qui ne sont déjà pas nombreux – semblent se volatiliser. Le voyage de Lou ne sera pas de tout repos, poussant l’adolescent à se découvrir lui-même, alors qu’il apprivoise ce monde qu’il ne connaît pas et dénoue le ténébreux vécu de sa mère.
L’univers est franchement original, basé sur deux éléments en apparence simple, mais qui offrent un panel de réflexions riche : l’absence d’alternance jour/nuit et la différentiation extrême des régions qui en découle, et l’existence de personnes qui peuvent donner leur don de chance (ou à qui on peut le voler). Les thématiques sont très actuelles, du parallèle avec les migrants au sort réservé aux minorités, en passant par la non-binarité et l’adoption, ou encore la véritable nature de la chance, à double tranchant, voire ambiguë.
Entre roman d’aventure et initiatique, L’île des Porte-Chance propose une fantasy intelligente et humaniste, d’où la violence n’est pas exclue, contrebalancée par des gestes de solidarité et d’humanité. Les personnages sont bien travaillés, nous découvrons peu à peu leur profondeur, leurs failles, leurs hésitations. Si Lou est un héros lumineux, dans tous les sens du terme, sa mère porte une part d’ombre qui la rend passionnante. Jessie, que Lou rencontre lors de son voyage est également un personnage très ambigu·ë. Lucie Heiligenstein a une écriture très visuelle qui parvient à nous faire ressentir les couleurs, les nuances, la lumière, comme une chose tangible – ce qu’elle est pour ses protagonistes au monde figé.
Le suspense est bien tenu et le rythme sans temps mort, tandis que la fin réserve une belle surprise. Le lecteur adulte passera un bon moment, mais restera sans doute sur sa faim, les thématiques étant quelquefois plus effleurées que creusées. Mais le jeune lectorat partira avec plaisir en voyage avec Lou, dans ce monde fascinant, qui fait (parfois tristement) écho au nôtre !
L’île des Porte-Chance
Autrice : Lucie Heiligenstein
Éditions : Scrineo
Parution : 20 avril 2023
Prix : 18,90 €
À partir de 12 ans