Les idoles : les morts ressuscitent les vivants dans un hommage vibrant
- Écrit par : Xavier Paquet
Par Xavier Paquet - Lagrandeparade.com/ Lumière froide, clinique dans ce tunnel souterrain aux allures industrielles fait de béton et d’acier où seuls les sièges d’un abribus renvoient au symbole d’un dernier voyage.
Dernier voyage pour les âmes d’artistes défunts qui sont convoqués pour évoquer la trace qu’ils laissent, deviser sur la place de la mort et de leur combat contre le Sida, maladie qui les a tous terrassés. Eux, ce sont les idoles de Christophe Honoré, jeune adulte passionné d’art et qui s’éprend d’autant de talents divers que Cyril Collard, Bernard-Marie Koltes, Jacques Demy, entre autres ; autant de héros brulés par la maladie.
Les morts reviennent d’entre eux pour transcender la vie et sont transportés dans les souvenirs de leur histoire personnelle dans ces années Sida, symboles de toute une génération. Chacun s’exprime sur son rôle face à la mort, sur son désir de vivre et confronte son opinion sur le rapport entre la vie et leur sensibilité artistique. En toile de fond, c’est aussi leur manière d’appréhender leur séropositivité : ceux qui le cachent, ceux qui l’assument, ceux qui la cristallisent dans leur création.
Honoré les fait échanger collectivement entre diatribes individuelles et discussions passionnées sans jamais tomber dans le pathos en gardant toujours cet équilibre entre gravité et légèreté. Le sujet est dur, le propos profond mais le texte se nourrit de fantaisie et de respirations comiques. Ça débat, ça se chambre, ça s’houspille, ça se drague, ça s’invective : ça vibre et ça vit comme un ultime pied de nez à la maladie qui progresse. Dans cette expérience de la mort, ils se comprennent et au final se soutiennent avec bienveillance.
Le texte est fin, intelligent, les formules sont ciselées et les répliques font mouche tandis que les monologues apportent cette dureté de l’intime. Séparer l’Homme de l’Artiste dans sa force de vie et le côté immortel de son œuvre. Les dialogues sont fantasmés, les situations rêvées, Honoré imagine comment chacun aurait survécu et continué d’évoluer dans son art si le VIH ne les avait pas kidnappés. « Jours étranges, non, jours sinistres et terrifiants. Jours où le désir s'appariait toujours à la mort. Désir des corps et désir de l'art". Sans les porter aux nues, il n’élude pas leur caractère, leurs peurs, leur vulnérabilité.
Le cinéma n’étant jamais très loin, la mise en scène reprend avec brio et intelligence les codes du septième art. La pièce se découpe en quinze scènes annoncées par des titres accrocheurs sur un téléviseur suspendu. Caméra sur scène, une patte reconnaissable de l’auteur, alternance pour filmer le plateau en direct et de scènes hors champ avec une profondeur qui donne ce cachet si particulier à ces instants de vie .
Les jeux de lumière, les éclairages et le travail millimétré des ombres donnent beaucoup de relief à l’ensemble et font résonner l’émotion de ce texte fort, poignant, très tendre et sensible. Ils s’accompagnent de musiques finement choisies et de passages dansés ou chantés qui apportent cette douce note de légèreté.
Il fallait une troupe d’acteurs avec cette puissance de jeu et on retrouve les autres idoles d’Honoré, celles de ces comédiens fétiches, en partie présents dans « Le ciel de Nantes » qui jouent tous avec une force, une générosité, une intensité et une humanité incroyables.
Pièce chorale, « Les idoles » célèbre le désir de vivre plutôt que l’imminence d’une mort annoncée à travers une scénographie riche en vitalité, à travers des corps, des expressions, des émotions, des voix. Renaissance de ces artistes qui avaient peur de disparaître à jamais et qui reviennent à la vie et à la scène le temps d’une vibrante déclaration d’amour. Un puissant hommage !
Les idoles
Ecriture et mise en scène : Christophe Honoré
Avec Harrison Arévalo, Jean-Charles Clichet, Marina Foïs, Julien Honoré, Paul Kircher, Marlène Saldana
Et l’apprenti du Studio – Esca : Lucas Ferraton
Scénographie : Alban Ho Van
Lumières : Dominique Bruguière assistée de Pierre Gaillardot
Costumes : Maxime Rappaz
Assistante à la mise en scène : Christèle Ortu
Assistant dramaturgie : Timothée Picard
Dates et lieux des représentations :
- Jusqu'au 6 avril au Théâtre de la Porte Saint-Martin ( 18 Boulevard Saint-Martin, 75010 Paris) - 01 42 08 00 32