L’injuste : un duel glaçant magistralement joué par Elodie Navarre et Jacques Weber !
- Écrit par : Xavier Paquet
Par Xavier Paquet - Lagrandeparade.com/ Un montage vidéo passe en revue et en accéléré l’Histoire des années 1930 aux accords d’Oslo en 1993, mettant en avant les tragédies et conflits qui ont émaillé le peuple Juif, de la montée du nazisme aux terribles JO de Munich. Une succession d’évènements qui défilent comme les pans de l’existence de François Genoud au crépuscule de sa vie.
Atteint d’un cancer, l’ancien banquier suisse détenteur des droits d’édition d’Hitler, accepte une dernière interview avec une jeune journaliste israélienne. Un dernier combat avant la sortie de piste, lui qui n’a jamais été inquiété par la justice.
Pour la recevoir dans son bunker en pleine forêt, il a méticuleusement préparé l’entretien, se renseignant sur son passé, sa famille, manière de conclure avec panache une vie des plus sombres et d’engager une dernière confrontation cynique et un dernier baroud d’honneur.
Même si, de l’honneur, il lui en a manqué toute sa vie : admirateur du national-socialisme, nostalgique des années hitlériennes et défenseur de la cause aryenne, financier et allié notoire de terroristes. La journaliste ne manquera pas de lui rappeler ses faits d’armes dans un duel à couteaux tirés où la droiture et la recherche de la vérité s’opposent à la manipulation et l’absence de remords.
Dans ce huit clos où le temps se suspend, les révélations se succèdent, les arguments s’affinent, les provocations font mouche, les esprits s’échauffent tandis que les silences se nourrissent : dans ce moment épique, les rapports de force ne font que s’inverser. Face à la puissance et au sens de la provocation de l’ancien nazi répondent la justesse et une sensibilité maquillée de force.
Le charme de « L’injuste » réside d’abord dans sa narration et son histoire aux dialogues savoureux, à la plume ciselée et à l’intensité du verbe : le texte fin et intelligent est documenté, les faits et convictions avérés, seul le personnage de la journaliste et la rencontre sont fictionnels mais terriblement réalistes. L’écriture va en profondeur dans les tourments de l’idéologie, dans les méandres de l’assurance et de la persuasion mais aussi dans les complexités humaines : elle distille la variabilité des sentiments que l’on peut éprouver pour Genoud entre rejet, effroi, compassion et sympathie.
Pour porter ce mano à mano entre le grand méchant loup affaibli qui pense qu’il va dévorer la journaliste chaperon rouge, il fallait un duo de comédiens au talent et à la présence scénique qui s’imposent d’eux-mêmes. Face à une Elodie Navarre impeccable dans son rôle de journaliste qui bouscule les certitudes et confronte les états d’âme, l’immense Jacques Weber nous livre une incroyable partition. Nuancé dans ce jeu, intense dans son rôle et glaçant dans ses propos, il jongle habilement sur les registres du charme et de la provocation pour nous captiver de son aura.
Pour mieux nous plonger dans la noirceur des propos et la tension du huit-clos, la mise en scène est volontairement minimaliste : un grand espace froid et gris, fermé par une porte de métal, une table basse et quelques vieux tableaux qui ne tapissent pas les grands murs vides. Ce décor rend l’atmosphère oppressante et fait résonner l’intensité des mots.
La retransmission sur écrans des caméras de surveillance renforce l’enfermement et la sensation d’être prisonniers d’une histoire qui croise l’Histoire et les destins croisés de ces deux personnages.
D’actualité dans les thématiques qu’elle aborde, la pièce joue astucieusement sur le registre mémoriel et nous prend à témoin d’une mémoire collective qu’il ne faut pas oublier. Vibrant.
L’injuste
Avec Jacques Weber et Elodie navarre
Texte de : Alexandre Amiel – Yael Berdugo – Jean-Philippe Daguerre – Alexis Kebbas
Mise en scène : Julien Sibre
Dates et lieux des représentations :
- Jusqu'au 4 mai 2025 au THEATRE DE LA RENAISSANCE ( 20, Bd Saint-Martin, 75010 Paris)