Le Misanthrope de Georges Lavaudant : l'orgueil d'Alceste, miroirs et faux-semblants
- Écrit par : Julie Cadilhac
Par Julie Cadilhac - Lagrandeparade.com/ Du noir et du blanc pour les costumes, un décor épuré où les lumières jouent l'obscurité des couloirs, l'éclatante brillance des lustres des salles de réception ou le clair-obscur des faux-semblants.
Une arrière-scène amovible qui impose au regard tantôt un mur de miroirs vielllis où l'on se distingue plus qu'on ne se mire, tantôt la garde-robe colorée de Célimène, métaphore vitupérante de son exubérante jeunesse. Entre chaque acte ou changement important de personnages, un leitmotiv : des personnages qui observent leur reflet, semblent s'en satisfaire avant d'être surpris par des flashs photographiques anachroniques qui les font fuir. Derrière les masques de la représentation sociale, on peut tricher mais l'on est rattrapé par sa conscience...le miroir a ses ambivalences intrinsèques. Et puis il y a le texte, brillant, résolument avant-gardiste et terriblement moderne du grand Jean-Baptiste. Combien de répliques, devenues maximes célèbres, résonnent dans les propos d'Alceste, de Philinte, de Célimène et même d'Oronte?
Le Misanthrope raconte l'histoire d'un homme assez fou pour s'être épris d'une femme qui syncrétise tout ce qu'il abhorre. Véritable fanatique de la franchise, de l'intégrité et de la vertu, il refuse de se plier aux us et coutumes du monde dans lequel il vit et espère que sa bien-aimée, Célimène, acceptera de le suivre dans son obsessionnelle volonté de quitter la société des hommes...Si Alceste paraît sympathique tant il est malmené par la frivole jeune veuve, tant ses discours d'honneur lui donnent des airs de Don Quichotte qui s'est trompé de siècle, son entêtement trahit cependant un orgueil démesuré : "Je veux qu'on me distingue". Il refuse d'être comme les autres. Il est également égoïste en voulant imposer à celle qu'il aime un mode de vie d'ermite, agressif dans ses jérémiades jalouses récurrentes. Célimène, face à lui, finit par ne paraître qu'un prétexte de plus pour "vouloir corriger tout le monde". Il est d'ailleurs capable, un instant, de proposer son coeur à Eliante pour se venger de Célimène, faisant fi des émotions de son interlocutrice, tout obsédé qu'il est de sa propre importance.
Eric Elmosnino est brillant dans le rôle d'Alceste car il réussit à en exprimer toute sa complexité. Tout à la fois démuni et fragilisé face à un sentiment amoureux qui le submerge, il bouillonne sans cesse de colère, agresse avec sa franchise insolente et son combat intérieur permanent pour rester poli, en fier aristocrate qu'il est, s'avère délicieux à observer. François Marthouret offre un Philinte délicat, compatissant, patient dont l'âge avancé rappelle - lorsqu'il exprime son désir de l'épouser à Eliante, la cousine de Célimène, - la réalité d'une société patriarcale qui ne s'embarrasse pas d'imaginer qu'elle mérite mieux qu'un octogénaire pour son avenir. Aurélien Recoing convainc en Oronte aux vers mauvais ; Luc-Antoine Diquero et Mathurin Voltz incarnent un duo de précieux distrayants. Mélodie Richard fait de Célimène une jeune femme étourdie par sa liberté retrouvée de veuve, jouant de son beau minois, grisée par les déclarations de ses amants, superficielle et friande de commérages comme on peut l'être à son âge...Le choix de Georges Lavaudant d'en faire une jeune femme tout en nuances élégante lui ôte toutefois du piment : on la préférerait plus offensive face à Arsinoé, incarnée par Astrid Bas, qui peine dans ce rôle...qui ne lui convient pas. Arsinoé doit être charismatique, imposer le silence lors de ses apparitions, glacer l'atmosphère pour mieux déballer sa rancoeur et ses regrets de demoiselle non déflorée. Quant à Anysia Mabé, elle attend...désespérément son tour.
Une mise en scène qui offre au public un moment de théâtre classique plaisant....mais comme l'on a un penchant pour notre atrabilaire amoureux et que l'on partage l'idée que " c'est n'estimer rien qu'estimer tout le monde", l'on arguera simplement que la distribution ne brille pas de manière égale et qu'il manque encore à cette création 2025 quelques représentations pour faire naître une cohésion à cette troupe qui, pour l'instant, semble n'être qu'une addition de comédiens jouant les uns à côté des autres. Georges Lavaudant réussira-t-il à faire rimer ce Misanthrope avec jubilation?
Le Misanthrope
Mise en scène : Georges Lavaudant
Assistante à la mise en scène : Fani Carenco
Dramaturgie : Daniel Loayza
Scénographie et costumes : Jean-Pierre Vergier
Assistante costumes : Siegrid Petit-Imbert
Maquillage, coiffure, perruques : Sylvie Cailler et Jocelyne Milazzo
Régie maquillage, coiffure, perruques :Nathalie Damville
Régie générale : Nicolas Natarianni
Création lumière : Georges Lavaudant et Cristobal Castillo-Mora
Création son : Jean-Louis Imbert
Avec Eric Elmosnino Alceste, Astrid Bas Arsinoé, Luc-Antoine Diquéro Clitandre, Anysia Mabe Éliante, François Marthouret Philinte, Aurélien Recoing Oronte, Mélodie Richard Célimène, Thomas Trigeaud Du Bois, Bernard Vergne Basque, et Mathurin Voltz Acaste
PRODUCTION
LG théâtre et la Cité européenne du théâtre Domaine d’O, Montpellier
Avec la participation artistique du Jeune Théâtre National / Avec le soutien du Colombier/Cie Langajà Groupement, de la MC93 et de l’Odéon - théâtre de l’Europe.
Dates et lieux des représentations :
- Du 24 au 29 janvier 2025 au Théâtre Jean-Claude Carrière , Domaine d'Ô, Printemps des Comédiens, Montpellier ( 34) - Cliquez ici !
- Les 1 et 2 mars 2025 à La Comète ( 5 Rue des Fripiers, 51000 Châlons-en-Champagne)
- Du 12 au 30 mars 2025 au Théâtre Athénée ( 2-4 square de l'Opéra Louis-Jouvet - 75009 Paris)
Crédit-photo : Marie Clauzade.