Lumière : une pièce éclairée à courir voir au Lucernaire!
- Écrit par : Xavier Paquet
Par Xavier Paquet - Lagrandeparade.com/ « L’Amérique, l’Amérique, je veux l’avoir et je l’aurai ». On reconnait les génies à leur vision et à leur sens précurseur de l’avenir du monde.
Et même si l’histoire se passe presque un siècle avant ces paroles de Joe Dassin, gageons qu’elles auraient pu être écrites par Edison et Westinghouse, amis puis concurrents dans la course à l’électricité avec pour but de devenir le roi de l’Amérique.
Riche de nombreuses inventions à son actif et de centaines de brevets (dont le télégraphe et le phonographe) Edison veut commercialiser sa dernière trouvaille : l’ampoule électrique. Westinghouse est, lui, plutôt un homme d’affaires qui n’a pas flairé les derniers bons coups et voit dans l’ampoule son prochain business. Entre les deux, Nikola Tesla, un inventeur brillant, qui croit au courant alternatif pour transporter l’électricité partout dans le monde quand Edison ne croit qu’aux vertus du courant continu : entre ces deux génies, l’incompréhension persistera jusqu’à ce que Tesla rallie la maison adverse de Westinghouse pour parfaire son idée et raccorder toutes les villes américaines.
Dans cette course au progrès et à l’avènement technologique du monde, se cache une bataille d’égo et de tempérament : le seul génie inventif d’Edison, les complexes et l’incompréhension dont souffre Tesla, la verve commerciale et la ruse de Westinghouse. Toutes les manœuvres et bassesses seront de mise pour déstabiliser l’autre et être le plus rapide à rendre l’ampoule indispensable.
L’électricité veut apporter le soleil permanent et illuminer les journées pour sortir de la noirceur du monde mais chaque lumière éclatante renferme sa part d’ombre.
Au-delà de ces luttes personnelles et de ces confrontations professionnelles, « Lumière » s’interroge sur l’éthique et les motivations qui régissent une innovation. Et ces questionnements philosophiques sont abordés par William, narrateur de l’histoire dont on découvrira l’identité en fin de spectacle, et les femmes des deux inventeurs.
Derrière le combat de leur mari, il y a leurs propres croyances sur des sujets sociétaux comme la peine de mort et sur la rivalité masculine qui annihile leur amitié. Ces personnages apportent de la profondeur et de l’émotion à l’histoire et une seconde couche intime et intense à la toile de fond de l’intrigue. Moteurs des ambitions de leurs maris, freins de leur morale personnelle, elles confrontent l’humain à ses choix face au progrès.
Qui dit lumière dit beaux éclairages sur le plateau et en la matière la scénographie est particulièrement réussie avec un dispositif astucieux et ingénieux pour faire vivre l’espace. Une grande structure de bois modulable qui nous permet à partir des manœuvres de ce seul élément de passer de l’atelier d’Edison à celui de Westinghouse, de virevolter entre l’intérieur des deux familles.
Les jeux d’éclairage sont très léchés avec beaucoup d’ampoules dispersées sur la structure et dont l’allumage et l’intensité sont une chorégraphie donnant du cachet à la mise en scène.
Le jeu des acteurs se révèle intense et varié avec une partition à la fois énergique sur la rivalité et la recherche permanente de l’inventeur, l’évolution de l’humanité de ces génies et l’émotion apportée par le combat de leurs femmes. La poésie et la dose comique reviennent à Tesla dont la singularité du personnage donne une touche de légèreté à l’ensemble.
« Lumière » se révèle une belle création et le portrait social d’une époque et des couches constituantes des génies entre soif de pouvoir et de conquête, intérêt scientifique mais aussi noirceur ou profondeur humaines. Elle nous éclaire sur les affres du progrès et le côté obscur d’une invention quand elle n’est pas utilisée comme son génie d’inventeur l’avait imaginé. Une réflexion qui, un siècle après, demeure actuelle et devrait continuer à nous interroger.
Lumière
Texte : Stéphane Landowski
Mise en scène : Maxence Gaillard en collaboration avec Pauline Devinat
Avec Romain Arnaud-Kneisky, Maxence Gaillard, Guillaume D’Harcourt, Lauriane Lacaze, Lou Lefevre et Mathias Marty
Musique et son : Romain Trouillet
Lumières : Denis Koransky
Costumes : Virginie H.
Scénographie : Georges Vauraz
Production : Lucernaire
Coproduction : Atelier Théatre Actuel et MK PROD’
Dates et lieux des représentations:
- Jusqu'au 26 janvier 2025 au Théâtre Le Lucernaire ( 53 rue Notre-Dame-des-Champs, 75006 Paris)