Barbara, mémoires interrompus : les fêlures de l'amour
- Écrit par : Christian Kazandjian
Par Christian Kazandjian - Lagrandeparade.com/ Tirée d’Il était un piano noir, Barbara, mémoires interrompus, retrace la vie mouvementée de la chanteuse, avant la notoriété et la gloire.
« Je ne suis pas une grande dame de la chanson, je ne suis pas poète, je ne suis pas un oiseau de proie, je ne suis pas désespérée du matin au soir, je ne suis pas une mante religieuse, je ne suis pas une héroïne, je suis une femme qui chante », disait Barbara en 1969. Elle chante à l’Olympia : la consécration avant l’envol vers une carrière qui fera d’elle, et malgré ses dires, une des grandes dames de la chanson. La pièce, Barbara, mémoires interrompus, est tirée de son livre de souvenirs Il était un piano noir. De la riche biographie de la chanteuse, Catherine Pietri, qui a adapté et joue, n’a retenu que les épisodes de l’enfance, la famille, la guerre, les années de galère, et la figure –centrale- du père, soit, la vie de Monique Serf, jeune femme rêveuse, habitée de la ferme conviction de son destin de chanteuse.
Contradictions
De sa confession de 1969, ressortent quelques contradictions, à tout le moins des affirmations contrecarrant l’image que donnent d’elle les médias, les gens. Oiseau de proie : une référence à son profil (sa chanson L’Aigle noir sera éditée seulement l’année d’après), ; le désespoir : il est patent, tant dans ses textes que dans son comportement -elle abuse de médicaments- ; mante religieuse : elle repousse une réputation qui serait bâtie sur ses nombreux liaisons, alors que, chez elle, l’amour est total et sincère, comme celui, inconditionnel, qu’elle voue à sa « grany », sa grand-mère maternelle. Mais, il est une blessure qu’elle portera toute sa vie : l’inceste subie dès l’âge de dix ans et demi, de la part de ce père qui humiliait l’enfant, en famille. L’écoute de nombre de ses textes renvoie aux événements marquants sa vie : L’Aigle noir, donc, où certains, la nouvelle de l’inceste subi connue, y voit une allusion voilée ; pour d’autres l’oiseau de proie est le symbole de nazis coupables de l’extermination des juifs, à laquelle sa famille et elle échappèrent.
Difficulté de vivre
Dans l’album Le Mal de vivre (tout est dit ou presque dans le titre), on trouve cette difficulté d’être femme dans Toi l’homme. Et il y a Nantes, où elle relate la mort de ce père qu’elle a haï, mais à qui elle n’a pu accorder son pardon, étant arrivée trop tard. L’amour, chez elle, est tout. Elle le chantera, malgré les désillusions, et gravera Ma plus belle histoire d’amour c’est vous, comme un cri adressé à sa famille, aux hommes qu’elle a aimés, au public qui l’a suivi, à ses amis Georges Moustaki, Georges Brassens, Gérard Depardieu, Charles Aznavour, et tant d’autres.
Les compositions et interprétations de cette « grande dame de la chanson » qu’elle niait être, Quand reviendras-tu, Göttingen, chant à la paix, Marienbad, La Dame brune, Nantes, L’Aigle noir sont des classiques de la chanson française. L’intérêt de la pièce se situe au-delà de cet univers connu. Elle traite d’une femme, de ses fêlures, de ses joies et ses peines, de sa volonté de s’imposer dans un univers masculin, où sévissent impresarios véreux, souteneurs, êtres familiers toxiques. Elle parle d’amour, sans ignorer l’humour : on rit quand Catherine Pietri interprète les personnages qui gravitèrent autour de celle qui n’était pas encore l’étoile scintillant au firmament de la chanson. Le spectacle donne illico envie de réécouter Barbara chante Barbara, Le mal de vivre, Le Soleil noir, voire de chercher à revoir Frantz, film délicat de Jacques Brel dont ils sont les protagonistes. On saluera le jeu de Catherine Pietri qui, sans mimétisme, incarne une Barbara d’avant Barbara, tout de douceur, de candeur presque, de douleur enfin. L’environnement (accessoires, costumes noirs et blancs, sauf un habit de couleur renvoyant à l’enfance et la joie de vivre), souligne le parcours d’une vie faite d’accidents, qui s’achèvera, à l’âge de 67 ans, dans la quiétude d’une maison avec jardin, à la campagne. Une belle réussite pour inconditionnels et profanes ; pour tous publics, donc.
Barbara, mémoires interrompus
De : Barbara, d’après « Il était un piano noir…»
Adaptatation : Catherine Pietri
Mis en scène : Frédéric Constant
Avec Catherine Pietri
Conseiller artistique : Philippe Honoré
Scénographie et création vidéo : Guillaume Junot
Costumes : Radu Bals
Création lumière : Benoît André
Création son : Christine Moreau
Administration : Karine Thénard-Leclerc
Production : Les Affinités Électives
Dates et lieux des représentations:
- Jusqu’au 20 janvier 2025 au Studio Hébertot, Paris 17e (01.42.93.13.04.) les samedis (16h30) et lundis 21h)