Théâtre : Frida, Diego, la colombe et l’éléphant
- Écrit par : Christian Kazandjian
Par Christian Kazandjian - Lagrandeparade.com/ Frida ou l’épopée d’une artiste majeure, libre et passionnée, dans un siècle en tumulte.
Les spectateurs sont accueillis dans un joyeux bordel. Les comédiens/personnages distribuent poignées de main, questions, bises aux arrivants tout en sirotant force téquilas. Tout le monde attend Frida. Elle arrive enfin dans un fauteuil d’infirme : tout le résumé d’une existence : la joie de vivre et la douleur. Les jalons historiques du parcours d’une artiste d’exception sont donnés, in vivo, par une comédienne depuis la salle. On suit donc Frida Kahlo, de l’enfance, dans une famille où un père aimant la laisse libre de ses choix, jusqu’à sa douloureuse disparition, en 1954, à l’âge de 47 ans. Dans l’intervalle, elle aura connu tout du bonheur de peindre, d’aimer et de souffrir dans sa chair et son âme.
Les trois piliers d’une vie
Les biographes se sont largement étendus sur l’accident, à l’adolescence, qui la laissa infirme, puis unijambiste (elle subit 32 opérations, porta des corsets en métal, en plâtre). On connaît tout ou presque de sa relation, avec Diego Rivera, LE peintre muraliste mexicain de 21 ans son ainé, qu’elle épouse alors qu’elle n’en que 21. Leur couple, bien mal assorti -elle, frêle et cassée de toutes parts, lui, énorme et laid- connaît, mariage, ruptures, tensions, divorce et remariage. Mais cette indicible passion, malgré la kyrielle d’infidélités partagées, sera un lien indéfectible, durant un quart de siècle. Tout comme leur attachement au communisme, que Frida nouera grâce à son amie et amante, la photographe Tina Modotti. En Frida Kahlo, se sont cristallisés la liberté face à l’oppression sociale et politique et face au patriarcat, le courage face à toute adversité, la libération sexuelle, l’amour fou et, ce qui fait sa plus grande force, la puissance de création, qui fit dire à Rivera qu’elle était la plus grande parmi les peintres mexicains. Ses 143 tableaux, dont un tiers environ d’autoportraits, peints alors qu’elle était alitée, traduisent la souffrance physique et morale, et son amour pour sa terre, le Mexique. Sa vie se traduit en une formule : amour de Diego, de la peinture, du communisme, piliers sur lesquels elle trouva la force de vivre.
Une lumineuse épopée
Ecrite et mise en scène par Paola Duniaud, Frida est un hymne à la liberté pour les femmes et les opprimés. A travers le personnage émouvant, attachant de l’artiste se déroule l’épopée de toute une époque : les guerres, les révolutions politiques (mexicaine, russe), artistiques (le muralisme avec les maîtres mexicains Rivera, Siqueiros, Orozco, le surréalisme), sociétales (émancipation des femmes). Les six comédiens, passant d’un personnage à l’autre (le père, le médecin, la sœur, l’ex-épouse de Diego, etc.), s’en donnent à cœur- joie, dans un tourbillon tumultueux et excitant, d’où ne sont jamais loin la tragédie et la passion. Frida est pétulante à souhait et Rivera, ventru, suffisant et fragile tout à la fois. La téquila, dont abusait Frida, coule à flot ; on crie, on sacre, on chante et danse ; mais on souffre aussi, dans un ingénieux décor tournant fait de rideaux dévoilant les différents lieux, de la Maison bleue familiale à la chambre d’hôpital ou aux salons newyorkais. En cette année anniversaire de la mort de Frida Kahlo (1907-1954) ce spectacle tonique et vivifiant retrace la trajectoire mouvementée d’une artiste majeure et d’une femme libre.
Frida
Ecriture et mise en scène : Paola Duniaud
Avec Ana Lorvo / Lior Aidan, Sacha Vučinić/ Ulysse Mengue, Thierry Mulot, Sabrine ben Nijma/ Camille Vershuere, Daphné Dumons/ Vanille Lehmann, Paõla Duniaud
Dates et lieux des représentations:
- Jusqu’au 30 novembre 2024 à la Manufacture des Abbesses, Paris 18e (01.42.33.42.03.), du mercredi au samedi.