Héliogabale, l’empereur fou : le vertige du pouvoir
- Écrit par : Christian Kazandjian
Par Christian Kazandjian - Lagrandeparade.com/ Héliogabale, l’empereur fou, une réflexion sur le pouvoir aux résonnances tout actuelles.
Marcus Aurelius Antoninus, plus connu sous le nom d’Héliogabale, régna sur Rome de 218 à 222.
Succédant à Caracalla qui écrivit une page de sang, Héliogabale mourut à 18 ans, assassiné comme son prédécesseur. Les frasques, les lubies, la folie de celui qui voulut instaurer le culte du soleil (Hélios représentait le soleil dans la mythologie grecque) lassèrent sa grand-mère Julia Maesa, soucieuse de l’avenir de l’empire ; elle fomenta ainsi son meurtre. Pareille destinée se devait d’intéresser la littérature : Antonin Artaud et Jean Genet firent d’Héliogabale, le héros de leur pièce. Nous devons à Alain Pastor une nouvelle vision du drame. Le décor quasi dénudé (un trône, simple fauteuil sans ornements, deux cubes), les costumes contemporains noirs, sont pensés pour laisser place au verbe, à la tension tragique qu’accentue un cyclorama qui vire parfois au rouge sang, et où s’amoncellent de lourdes nuées. Julia Maesa intrigue auprès du fidèle ami d’Héliogabale, Comazon, préfet de Rome, afin d’éliminer un adolescent fait souverain et qui place la jouissance au rang de priorité : il se grime, chante, danse, fréquente les bas-fonds, tue également, piochant sans compter dans les deniers de la couronne. Lucia Maesa détient, dans l’ombre, tout le pouvoir ; elle en joue et en use, tant pour son intérêt personnel que pour celui de l’empire, maniant, à plaisir, la séduction, la flatterie, la ruse et la colère. Vieille dame indigne, elle manipule son monde pour de sombres desseins.
Règne de la corruption
La mise en scène de Pascal Vitiello ne fait pas secret de dépeindre la Rome antique comme reflet de nos sociétés. La sobriété sombre des costumes, comme le propos, pour peu qu’on les traduise dans le monde d’aujourd’hui, font d’Héliogabale, l’empereur fou, le pendant d’une réalité toute contemporaine. Le pouvoir qui corrompt notre essence humaine, jusqu’à légitimer les pires violences et inégalités, perpétue ses méfaits dans le monde, comme ce fut le cas dans la Rome d’Héliogabale (le meurtre même n’en est pas absent). Et aucun des deux sexes n’en est exempt : la toute puissante Julia Maesa est vêtue du pantalon et de la veste qui classent les dirigeants politiques ou d’entreprise, moderne. Le glaive, à l’avant-scène, impose la présence symbolique, menaçante de la réalité des guerres qui ensanglantent le monde depuis des millénaires.
Geneviève Casile, cette immense comédienne, sociétaire honoraire de la Comédie française, excelle dans un rôle tout de nuances, de retenue parfois brisé d’explosions de violence brute. Mickaël Winum donne à Héliogabale cette dimension mythique, exaltée, outrancière, grandiose au final, d’un homme prisonnier de ses passions, fragile, imprévisible et dangereux. Gérard Rouzier incarne, avec doigté, le dilemme du soldat, tiraillé entre fidélité envers l’ami aimé comme un fils, et devoir d’obéissance à l’autorité supérieure.
Une pièce d’une beauté âpre et sauvage aux forts accents actuels.
Héliogabale, l’empereur fou
De Alain Pastor
Mise en scène : Pascal Vitiello
Assisté de : Jérémy de Teyssier
Avec : Geneviève Casile, sociétaire honoraire de la Comédie-Française, Mickaël Winum, Gérard Rouzier
Création lumière : Simon Lericq
Création vidéo : Jeanne Signé
Adaptation sonore et musicale :Jérémy de Teyssier
Coproduction : Cie Voyez-moi ça,L'Avant-Scène productions
Crédit-photo : Giacomo Aidé
Dates et lieux des représentations:
- du 29 juin au 21 juillet 2024, à 13h30, au festival d’Avignon - OFF - théâtre des Gémeaux