La Danseuse : relations toxiques et descente aux enfers
- Écrit par : Xavier Paquet
Par Xavier Paquet - Lagrandeparade.com/ Quelque chose qui crée une impulsion, un déclencheur qui initie un mouvement, furtif, puis un autre, provoquant jusqu’à la déstabilisation complète de la rigidité du corps.
Quelque chose qui crée une pulsion, un sentiment profond et ancré qui distille l’envie irrépressible d’agir, un changement brusque de comportement provoquant jusqu’à la déstabilisation complète d’une situation existante jusqu’à un point de non-retour.
La musique et l’amour, deux passions qui nourrissent la vie de Noé, artiste danseur, dont la jeunesse est marquée par l’absence de repères familiaux et le trouble de l’éducation paternelle. Une envie de s’en sortir, une envie d’être fier dans le regard des autres, une envie de vivre sa passion et d’être passionné à vivre. Un jeune qui végète, a du mal à percer, vit en potache avec ses potes Mika et Elliot : blagues de post ado, esprit de bande, frères d’armes dans la difficulté et dans l’amusement. Jusqu’à ce soir où la rencontre fortuite d’Adèle autour d’un dernier verre chamboule à jamais le destin de cette jeunesse en quête de plaisir.
D’un amour naissant, le couple se forme, se découvre, s’apprivoise dans la douceur ou dans la torpeur sauvage de leur fusion, les amitiés se distendent, les soupçons s’éveillent, les conflits éclatent. Peu à peu, tout isole Noé de ses amis et emprisonne Adèle dans une relation qui ne lui convient plus. A force de soupçons, de jalousie, de querelles, de désillusions, le comportement de Noé change et se mue en personnage menaçant, en état second constant de violence où l’écoute n’a plus sa place : la relation est devenue toxique. Jusqu’à quel point ?
Création originale, La Danseuse, surnom donné à Noé par ses amis pour sa passion de la danse, nourrit la réflexion sur la place de l’emprise dans une relation et les ravages qu’elle provoque en s’immisçant et subversivement dans les échanges. Le texte alterne quotidienneté et familiarité de langage et de situation avec des moments plus intérieurs et poétiques, parfois déclamés ou slamés.
On pourrait regretter un manque d’approfondissement de la relation Noé-Adèle où certaines évolutions sont trop rapides, où les déclencheurs et alertes successives ne sont pas suffisamment marqués et où la relation amicale apporte peu d’éléments dans cette construction/destruction qui s’opère. Tout comme la danse, passion si présente mais peu montrée, qui aurait apporté davantage de mouvements et de vie dans la libération et l’enfermement des corps et des esprits.
La scénographie - volontairement minimaliste - installe un dispositif scénique de quatre chaises sur fond noir où les comédiens tournent pour marquer le temps qui passe, l’évolution chronologique mais aussi montrer comment chacun peut être un observateur impuissant de ce qu’il se passe. Un carré de scotch blanc se construit au fur et à mesure de l’histoire pour enfermer Noé dans ce qu’il est devenu et réduire son espace vital et sa lucidité. L’ensemble s’accompagne d’une lumière qui vire de chaude à froide quand la tension monte en puissance et est joué avec énergie, dynamisme et explosivité.
Entre quête de l’amour de soi et quête de l’amour de l’autre, La Danseuse marque la descente aux enfers d’une personne toxique pour les autres comme pour elle-même dont l’emprise qu’elle pense avoir subi rejaillit sur ce qu’elle a de plus cher et de plus beau.
La danseuse
Texte & mise en scène : Justine Raphet
Avec Benjamin Jaouen, Hugo Plassard, Diong-Kéba Tacu, Lucile Jehel, Marion Oury
Administration : Jean-Luc Raphet, Anne-Caroline Raphet
Régie & création lumière : Jacques Lainé
Chorégraphie : Ndathé Sakho
Création sonore : Benjamin Liouville
Photographie : Laura Bousquet
Dates et lieux des représentations :
- Jusqu'au 27 avril 2024 au Théâtre de Belleville - PARIS