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L'île des esclaves : Servitude et rédemption au Lucernaire

  • Écrit par : Christian Kazandjian

marivaux Par Christian Kazandjian - Lagrandeparade.com/ Dans L’île des esclaves, Marivaux parle, avec humour et gravité, du cheminement ardu des êtres vers la justice et le respect. 

 Une tempête majuscule projette sur une île, à nulle part, loin de Grèce, deux aristocrates, un homme accompagné de son esclave et une femme flanquée de la sienne. Surgit bientôt le maître des lieux, Trivelin, un ancien esclave, un peu magicien, un rien bouffon, une forme de double du Prospero de Shakespeare, tirant les ficelles comme un marionnettiste, manipulateur mais philanthrope au demeurant. Il explique aux naufragés les règles qu’il a établies dans son domaine : les esclaves deviennent les maîtres et les maîtres et maîtresses, esclaves. Ceci, non pour inculquer un sentiment de vengeance chez les serviteurs, mais pour « guérir » les puissants de leur arrogance, brutalité et défauts inhérents à leur naissance, et les transformer en êtres justes et généreux. Une fois l’examen réussi, chacun retourne à sa fonction première, apaisé, en parfaite harmonie avec les autres. Utopie que tout cela ? 

Figures de commedia dell’arte

Dans cette Ile des esclaves, écrite six décennies avant la Révolution de 1789, dans une France où perce l’esprit des Lumières, Marivaux entend, à travers un message d’humanité, en appeler à la raison capable de suturer les plaies d’une société injuste et brutale envers les faibles. Il choisit, pour ce faire, de tisser les écheveaux de la comédie, mêlant personnages tirés de la Grèce antique (les aristocrates et la servante) et figures de la commedia dell’arte : Trivelin et Arlequin. Usant, comme souvent, de l’échange d’identité, Marivaux écrit un conte philosophique plein de verdeur et pétillant d’humour. Amour et cruauté s’y affrontent et se subliment pour, qu’à la fin -l’époque l’y obligeant- tout rentre dans l’ordre « naturel » de l’ancien régime.   

Violence et vertu 

Cette courte comédie est parfaitement servie par une équipe de cinq comédiens qui s’en donnent à cœur joie, dans la jubilation pour la langue de Marivaux ; et pour le plus grand plaisir du public. Le jeu qui penche vers la commedia dell’arte permet de souligner le caractère comique, utopique, de la situation, sans en gommer les touches cruelles caractérisant les rapports et conflits de classe. Ce qui donne à L’île des esclaves  pouvant adopter des accents actuels : rouge des costumes et certaines allusions aux luttes et manifestations qui secouent le monde d’aujourd’hui. Cependant, la mise en scène ne trahit pas le propos de l’auteur. Le chemin vers la rédemption est souligné par le passage de la longue chorégraphie signifiant le naufrage où les corps sont roulés au sol, à la danse finale, à l’unisson, en rythme, corps redressés et libres. Les voilages blancs, de vagues et lames létales du début, se font, au final, symboles de pureté et de vertu. Un spectacle intelligent, drôle, utile en des temps où règnent l’égoïsme, la frivolité et la violence.    

L’île des esclaves
De Marivaux
mise en scène :  Stephen Szekely
Avec Laurent Cazanave ou Michaël Pothlichet, Barthélemy Guillemard, Lucas Lecointe, Marie Lonjaret et Lyse Moyroud
© Helen Dersoir

Dates et lieux des représentations:

- Jusqu'au 2 juin 2024 au Théâtre du Lucernaire, Paris 6e (01.45.44.57.34.)

 


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