Par Xavier Paquet - Lagrandeparade.com/ La nuit est sombre, froide, aucun bruit ne résonne aux alentours de cette maison semblant isolée au milieu de nulle part.

On entend ce crépitement, ce frottement si caractéristique de semelle écrasant la poudreuse, cette vibration de la neige qui résonne dans le silence. Car « L’enfant brulé », au-delà d’être une histoire, c’est une expérience sensorielle et une rythmique particulière, celle de la vie, de la normalité, du quotidien dans tout ce qu’il a de détails et de petites attentions qui forment un tout. C’est l’éloge du temps qui est pris, de l’essentiel et du minimalisme des mots, des silences comme autant de points qui cisèlent avec singularité l’histoire d’une famille ordinaire.

Bengt a 20 ans, sa mère vient de mourir et il vit avec son père Gunt dans la maison qui a peu bougé depuis au rythme des souvenirs et au son des absences. Son père bienveillant et maladroit a reconstruit sa vie avec Gun qu’il connaissait sans doute avant, mais le fils, possessif et obnubilé par les tourments de son passé, aspiré par la confusion des souvenirs, oscille entre mutisme et violence intérieure. Lui qui veut conserver la pureté des souvenirs, l’éclat intact de la mémoire de sa mère, et sa propre blancheur d’âme, ne supporte pas un écart par rapport à son idéal personnel. Coupé de ses émotions profondes, portant le masque social de la victime persécutée, il se transforme en bourreau par sa colère avec une envie de détruire : le couple de son père, sa propre relation avec Berit sa fiancée, cette nouvelle vie.

L’économie de mots se fond dans le dépouillement du décor dont l’ingéniosité libère l’espace modulable : la maison familiale - symbole de l’enfermement - s’ouvre au fur et à mesure pour laisser place au lointain, à l’horizon depuis une cabane au bord d’un lac. Le champ s’ouvre mais on ne donne à voir que ce que l’on veut nous faire voir : une distorsion de la réalité en écho à la distorsion de Bengt. La scénographie est léchée par la qualité et le réalisme de son exécution : le salon simple de la maison, sa tapisserie verte « dans son jus », sa table en formica, la chambre du père en filigrane derrière un voile ; la cabane, son aménagement astucieux, sa terrasse et son bassin naturel.
Elle est sublimée par un travail important de lumières, d’ombre et de clair-obscur mais aussi de contrastes saisissants (quelle reconstitution d’un feu d’artifice !). L’esprit est cinématographique et on y voit au-delà de la lenteur suédoise un clin d’œil à Bergman : les codes sont visuels, auditifs, la profondeur de champ, le hors champ et l’essentialité des portraits. La narration est entrecoupée de lettres que Bengt s’écrit à lui-même pour redonner du rythme et une cassure au temps long.

La pièce est portée par quatre personnages aux couleurs marquées : la noirceur de Bengt, la fébrilité de son père, le mélange de soumission et de combativité de Berit, la dimension solaire de Gun. Leur travail sur le rythme et la sonorisation est précis, chirurgical mais c’est aussi un théâtre des corps qui s’entrecroisent et s’entremêlent. Le jeu est intérieur, en tension, en non-dits, mais  cette intériorité peut exploser à tout moment : chacun interprète avec intelligence et maîtrise cette ligne de crête.

« L’enfant brulé » raconte la lente descente d’un être qui se croit fort mais est vulnérable, qui se croit supérieur et ne veut laisser de place à personne mais a besoin des autres pour nourrir ses pulsions et ses passions, pour assouvir son esprit de vengeance. Dans ce rapport amour / haine avec ses proches, c’est avant tout avec lui-même et ses blessures qu’il se bat, avec son passé et son présent. Et qu’il se consume de l’intérieur.

L'Enfant brûlé
D’après le roman de Stig Dagerman
Mise en scène : Noëmie Ksicova

avec Lumîr Brabant (Bérit), Vincent Dissez (Knut), Théo Oliveira Machado (Bengt), Cécile Péricone (Gun) et le chien Mésa 

Dates et lieux des représentations : 

- Du 27 février au 17 mars 2024 aux  Ateliers Berthier  ( 1, rue André Suares, Paris 17e)