Ma version de l’histoire : quand la vérité s'écrit au pluriel...
- Écrit par : Xavier Paquet
Par Xavier Paquet - Lagrandeparade.com/ Est-ce notre désir caché et voyeur de nous intéresser à la vie des autres ? Notre part de vice d’observer un couple qui se déchire sous nos yeux et de voir qu’il y a pire que nous dans la vie ?
Le formidable talent de conteur de Sébastien Azzopardi ? Qu’est ce qui fait qu’on s’attache à cette histoire et à ces personnages si proches de nous ? Peut être le tout à la fois fait qu’on se laisse si facilement embarquer dans « Ma version de l’histoire »...
Sam et Valentine, couple de cinquantenaires ensemble depuis 20 ans, vivent une crise conjugale sous soupçons d’adultère et décident, pour régler leurs problèmes, de suivre une thérapie de couple : thérapie dont le public est le psy. Mais à l’inverse des autres pièces d’Azzopardi, le public ne peut cette fois n’être qu’un spectateur passif, interpellé, invité à prendre parti mais sans jamais pouvoir intervenir.
Les raisons de leurs différents ? Un classique adultère : Sam a flirté avec Joe, pétillante et piquante jeune femme brune de 20 ans, et accessoirement sa prof de guitare. Ça c’est ce qu’elle croit. Pour Sam, elle n’est que la petite amie d’Oscar, leur fils ; le vrai problème c’est que Valentine n’a jamais cru en lui quand il voulait monter son restaurant et qu’elle brassait des millions dans la finance, et que maintenant qu’il a réussi et qu’elle se retrouve sans emploi, elle jalouse sa réussite.
Plusieurs vérités s’opposent, les souvenirs s’entrechoquent, les versions divergent, chacun se méprend au fur et à mesure que son narratif balbutie sous la contradiction de l’autre. Toute l’originalité de la pièce réside dans son concept et son écriture : les silences, les non-dits, les contrevérités ou déformations du réel que chacun entrevoit, les aveux de faiblesse, les lâchetés que chacun déterre chez l’autre. Les rancœurs étaient profondes, il en faut peu pour que ressortent les ressentiments enfouis dans l’intimité de l’être et dans celle du couple.
Le texte est vivant, fluide, teinté d’humour, une écriture du quotidien où le franc parler répond à l’interrogation personnelle et il est porté par un jeu d’acteurs tout en tendresse, tout en énergie et avec beaucoup de ruptures pour marquer la variété des sentiments.
Au-delà du concept narratif, l’ingéniosité de « Ma version de l’histoire » réside dans sa très belle scénographie où le canapé central et les murs capitonnés de blanc réfèrent très bien à l’analyse thérapeutique. Mais ce décor s’ouvre et devient mobile pour que des meubles et objets du quotidien viennent illuminer la pièce : d’un intérieur à un parc, d’un aéroport à un bureau professionnel, il se transforme au gré de l’histoire pour nous faire revivre les souvenirs de Sam et Valentine. La projection des effets vidéo se fait avec subtilité et amène du cachet et du réalisme à l’ensemble et nous fait rêver en nous transportant d’univers en univers, en changeant d’espace et de temps avec poésie.
Cette pièce, très drôle et touchante en même temps, nous divertit autant qu’elle interroge sur notre libre-arbitre et notre gestion quotidienne de la communication où tout est question de prisme, de regard et d’interprétation. Et où il n’y a pas une mais des sincérités et vérités personnelles.
Une version de l’histoire qui s’écrit au pluriel.
Ma version de l’histoire
Texte et mise en scène : Sébastien Azzopardi
Avec Miren Pradier, Sébastien Azzopardi, Déborah Leclercq, Alexandre Nicot
Dates et lieux des représentations:
- Jusqu'au 6 juillet 2024 au Théâtre Michel ( 38, rue des Mathurins, 75008 Paris)