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Théâtre : la paix foutraque de Renucci

  • Écrit par : Guillaume Chérel

A la paixPar Guillaume Chérel - Lagrandeparade.com/ La première création de Robin Renucci à la Criée est à l’image de la ville de Marseille, populaire et grotesque. Tragique et magique… Ou comment transposer Aristophane sur le vieux port.

Yves Rogne (sic !) est un vigneron provençal qui veut avoir la paix, d’où le nom du spectacle (« A la paix ! »). Connu pour ne pas sucer que de la glace, on se moque de lui lorsqu’il dit avoir inventé une machine qui aspire la merde… On le voit partir dans le ciel pour demander des comptes à Hermès, le messager des dieux… qui s'est fait la malle. Le duo Robin Renucci, à la mise en scène, et Serge Valetti, auteur marseillais fin connaisseur de l’œuvre d’Aristophane, fait des étincelles. Ils ont rattaché la pièce à Marseille. On y parle du Frioul, de la Joliette, de l’Estaque et d’Endoume, en essayant de garder la portée comique de la pièce d’origine.

C’est la première création de Robin Renucci, depuis qu’il a pris la direction de la Criée, en juillet 2022. Il a choisi une comédie satirique pour demander si un effort commun entre les hommes est encore possible. L’idée est de proposer un spectacle « fédérateur », une « rêverie » faite pour les grands plateaux. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le pari était audacieux, car casse-gueule. C’est donc inégal, comme la vingtaine de comédiens qui montent sur scène. Mais c’est vivant, surprenant. Guillaume Pottier, qui joue l’Yves-Rogne, est excellent, mais on ne comprend pas tout ce disent certain.e. autres personnages. C’est là où le bât blesse quand on veut faire du théâtre d’éducation populaire « inclusif ». La scène de la « machine à merde » est un peu longue, car scatologique, mais elle est suivie d’un moment d’anthologie poétique et circassien (sado-maso), avec la sorcière au fouet…

Cette adaptation ancrée dans le Marseille d'aujourd'hui ne manque d'énergie collective et de clins d'œil locaux. Quand on connait la ville, notamment sa saleté, et le côté « j’men balek », c’est savoureux. Visuellement, on passe de Mad Max (avec Tina Turner, en furie SM) à la loufoquerie de Tex Avery, en passant par le divertissement dans sa forme la plus pure. Avec son mortier (quand elle le récupère), la sorcière pilonne les peuples qui font ch… Les Slaves, les talibans, les Syriens, les réfugiés et même… les Aixois (private-joke). Il faut aimer l’humour noir et l’univers des Monty Python. Le problème, c’est que c’est parfois répétitif, et ça manque de rythme (ce qui peut évoluer sur la durée, c’est le cas de le dire). Il y a du gros divertissement qui tache… Les jeux de mots, gros sabots, sont légion, comme le second degré. C’est parfois « grandguignolesque ». Inégalement drôle.

Le speech du régisseur, pendant le changement de décor, est inutile – comme le nouveau décor de fond – et les références phocéennes risquent de laisser froid les non-marseillais. C’est embêtant pour un spectacle qui entend embrasser une telle cause humanitaire : la paix. Surtout par les temps qui courent…

Comme s’ils n’y croyaient pas eux-mêmes sur scène. Et pour cause, dans le public, certaines personnes ne jouent pas le jeu quand il faut tirer sur la corde (littéralement) et sur le plateau, ne serait-ce que pour faire un barbecue, personne n’est d’accord pour savoir quoi manger. Tout finit par s’arranger, même avec des bouts de ficelle, comme à Marseille, où la solidarité n’est pas un vain mot. Et la « rebellitude » pas une pose pour bobos. Qu’on en juge par la manière dont le Community manager, qui se veut « influenceur » se fait jeter sans ménagement.
Marseille, comme le monde, est une ville dure mais où tout parait possible : le pire comme le meilleur. De ce nouveau spectacle de Robin Renucci, nous retiendrons le meilleur. Avant de jouer, le lendemain de la Première, les intermittents du spectacle sont montés sur scène pour expliquer leur lutte. En effet, leurs droits, comme ceux des artistes-auteurs, en général, diminuent comme Peau de chagrin, sous les coups de boutoir de l’ultralibéralisme sauvage. Renucci aurait aimé que les spectateurs sortent de la Criée avec « l’envie de danser » (avec les acteurs), tout en « sachant que la guerre est là ». Qu’il ne nous en veuillent pas. Le cœur y est mais la raison commande.

A la paixÀ la Paix ! d’après Aristophane

Adaptation Serge Valetti et Robin Renucci
Mise en scène Robin Renucci,
assisté d’Aurélien Baré
Avec Guillaume Pottier, Kristina Chaumont, Alex Fondja, Anne Levy, Frédéric Richaud, Aurélien Baré, Heddy Salem, Claire Bonfils, et les élèves comédiens de l’École Régionale d’Acteurs de Cannes et de Marseille, Maël Chekaoui, Victor Franzini, Marie Mangin, Gaspard Juan, Julia Touam
Scénographie de Samuel Poncet
Costumes de Jean-Bernard Scotto, assisté de Cécilia Delestre
Son de Jérémie Tison
Lumières de Julien Guerut
Régisseur général Philippe Chef
Fabrication machine par les Ateliers Sud Side, Marseille, du décor par Eclectik Scéno, Dijon et Atelier théâtre de La Criée
Chorégraphie Aurélien Descloizeau
Avec le regard amical de Catherine Germain

Dates et lieux des représentations: 

- Du 8 au 26 novembre 2023 au Théâtre National de La Criée ( 30 Quai de Rive Neuve, 13007 Marseille)  - Les mercredis à 19h, mardis, jeudis, vendredis, samedis à 20h, les dimanches à 16h, relâche le 11 nov., représentation scolaire jeudi 23 à 14h15 - 0491547054 / www.theatre-lacriee.com


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