La banquise : une pièce autour du viol et de la reconstruction, émouvante et réussie
- Écrit par : Xavier Paquet
Par Xavier Paquet - Lagrandeparade.com/ Amélie a 9 ans et par ce bel après-midi de printemps 1990, elle respire la joie de vivre et décide d’aller chercher des paillettes pour nourrir son poisson.
Elle, pour qui il y a tellement de ciel bleu à découvrir et de soleil dans la vie, va voir celle-ci basculer le temps d’une rencontre, d’une mauvaise rencontre. Victime d’attouchements sexuels et d’un viol. Malgré la plainte déposée, aucun suspect n’a été arrêté.
Adulte, Amélie continue sa vie, prend des cours de chant, suit une psychanalyse, s’épanche dans certains excès de la vie mais rien ne vient dissiper un mal-être lancinant dont elle ne trouve pas les causes. Elle s’époumonne pour comprendre, ne voit que ses souvenirs d’enfance s’estomper, dissimule son désespoir de trouver ce qui la ronge à petit feu depuis tant d’années. Jusqu’au coup de fil de la brigade des mineurs, qui a arrêté un serial violeur, qui va la confronter à son traumatisme et assembler les pièces d’un puzzle psychique dont elle avait perdu certaines parties.
Adaptée du livre « la petite fille sur la banquise », la pièce est construite comme un docu-fiction en intégrant une mise en abîme, une part de théâtre dans le théâtre où la metteuse en scène joue son propre rôle et répond aux questions concernant son projet. Une réflexion profonde sur ce qui nous touche dans une histoire, sur l’émotion viscérale qui se joue, sur le caractère universel du message que l’on veut porter et sur l’espoir que l’on veut diffuser. Une singularité qu’elle expose avec tendresse et intelligence.
Il est bien question d’espérance car malgré son thème, la pièce ne tombe jamais dans le pathos : elle sait avancer sur cette ligne de crête avec juste ce qu’il faut d’émotion, avec finesse et poésie, avec ce temps suspendu attachant et cette pointe d’humour qui apporte de la légèreté.
La scénographie est minimaliste, faite de noir mais lumineuse et solaire par les jeux de lumière qu’elle intègre. Quatre cubes sont disposés et déplacés, parfois assemblés comme les pans de son enfance qu’Amélie associe, parfois continus comme la falaise de laquelle elle ne veut pas tomber. Le mouvement encore et toujours comme le chemin de vie de la jeune femme et l’avancée de son histoire, de ses échanges avec son psy, son avocat, des chorégraphies de son double qui dénoue certains fils, de ses confrontations judiciaires.
La mise en scène fait ainsi la part belle au jeu d’acteur avec beaucoup de nuances et de subtilité et mélangeant des scènes courtes et rapides à des moments plus introspectifs. Construite comme une pièce chorale, « La banquise » accélère le rythme progressivement jusqu’à ne parler que d’une seule voix pour défendre son propos et ses idéaux d’une voix collective puissante.
Arborant précision et hauteur pour traiter la question du viol et de la reconstruction, la pièce aborde ce sujet par le prisme d’une histoire vraie et d’une dissociation de la pensée de la victime. Amélie a pourtant réussi à formidablement bien nous associer à son histoire et à ses difficultés à se construire sans déconstruire ce qui avait été abîmé dans sa vie d’enfant.
Cette banquise réussit à faire fondre notre humanité et à nous toucher au plus profond de nos tripes faisant de cette histoire un moment de bienveillance et d’émotion dans laquelle il n’y a pas de fatalité. Un soleil qui éclaire de sa chaleur l’insouciance de l’enfance qui s’est à jamais évaporée.
La banquise
Texte : Marie Frémont d’après le récit d’Adelaïde Bon La petite fille sur la banquise
Avec : Céline Laugier, Joséphine Thoby, Marie Frémont, Damien Bennetot, Sylvain Gaudu, Julie Laufenbuchler, Maxime Guinnebault
Mise en scène : Marie Frémont
Dates et lieux des représentations:
- Jusqu’au 26/09/23 au Théâtre de Belleville - PARIS ( Lundi : 21h15; mardi : 19h00; dimanche : 17h30)