Par Julie Cadilhac - Lagrandeparade.com/ A ceux qui viennent chercher la grossièreté et la violence arbitraire (certes jubilatoires) des célèbres répliques de ce cher Alfred Henri, on pourra répondre qu’un oeil sur la production de ce spectacle par le Musée d’Art Contemporain de Palma et une rapide lecture de sa présentation  auront vite détrompé ce désir conventionnel…

L’Ubu de Robert Wilson rend davantage hommage à «  la préfiguration dramatique du surréalisme, du dadaïsme et du théâtre de l’absurde du dramaturge français Â» qu’à l’intrigue de sa pièce Ubu roi ( publiée en 1895) et à ses personnages « Ã  décerveler » mémorables : le Père Ubu lâche, goinfre, méchant, cupide, la Mère Ubu, perfide et manipulatrice, Venceslas, Bordure etc.

A quoi donc assiste-t-on? à une performance plastique qui doit s’apprécier en convertissant son cerveau en mode contemplatif…car si les références culturelles abondent, l’intérêt intellectuel de ce bel objet visuel s’avère limité. Il ne laisse pas indifférent, donne loisir à l'échange et au débat sur sa qualité, sa pertinence et sa portée et séduit par nombre de tableaux superbes mais manque ( à notre goût) d’épaisseur. Infantile ou inquiétante selon les minutes, l’atmosphère insensée qui règne, si elle s'impose comme intemporelle, ne gagne pas la bataille de l’universalité et se perçoit plus comme un moment théâtral récréatif qu'un pamphlet contre la guerre. 

Robert Wilson nous invite à un carnaval fantasque aux masques troublants, ballet extravagant en plusieurs actes où l’on croise des grosses têtes au sautillement léger, des silhouettes fascinantes aux costumes luxueux dignes de la Cité des Doges aux matières détonnantes, des ombres menaçantes qui se mettent au pas du Roi. Et on y est étourdit de grommelots, de phrases en diverses langues répétées en boucle, de riffs, bris de verres, voix déformées ou nasillardes qui flirtent avec des effets de lumière époustouflants - le vert, le rouge, le bleu se glacent sur l’arrière-scène. Tantôt tout se fige, tantôt tout se déhanche, dans un mouvement perpétuel.

On retient l’image d’un roi perché sur une échelle dont l’ombre de la couronne s’affiche comme une armoirie emblématique, menacé par un Don Quichotte à la lance terrifiante ; on a aimé les musiques d’un tableau de guerre où le clavecin se mêle avec des leitmotivs de space fantasy ou encore cette ouverture mystérieuse en vagues froissées de papier.

Ventrebleu, de par notre chandelle verte, comme le dirait fort bien le Père Ubu, dans un élan de très courte durée de diplomatie et de tolérance : Eh ! mes bons amis (...) que chacun donne son avis. Nous avons d’abord donné le nôtre, c'est à vous, vrout, merdre ! 

Ubu
Avec : Mona Belizán, Marina Nicolau, Alejandro Navarro, Joan Maria Pascual, Sandrine Penda, Joana Peralta, Sienna Vila, Alba Vinton et 1 personne à confirmer
Réalisation, conception des décors et des lumières : Robert Wilson
Co-réalisateur : Charles Chemin
Co-concepteur des décors : Stephanie Engeln
Co-concepteur des lumières : Marcello Lumaca
Costumes : Aina Moroms
Son : Joan Vila
Assistant metteur en scène et régisseur : Maite Román
Concepteur des marionnettes : Joan Baixas, La Claca / basé sur le projet original de Joan Miró
Matériaux de texte : Eli Troen / d'après Ubu Roi d'Alfred Jarry
Directeur technique : Juanro Campos
Assistant régisseur : Sienna Vila
Responsable de plateau : Pablo Sacristán
Photographe : Luca Rocchi
Assistant personnel de M.Wilson : Alek Asparuhov
Producteur associé : Hannah Mavor
Production : Jenny Vila
Idée originale : Imma Prieto

Production : Es Baluard - Musée d’Art Contemporain de Palma ; La Successió Miró
Financé par : le Gouvernement des îles Baléares ; AC/E - Acción Cultural Española ; Mairie de Palma
Co-production : Festival Grec de Barcelone (ES) ; Festival Kunstfest Weimar (DE)
Avec le soutien de : Institut Ramon Llull
En collaboration avec : Groupe Karol Karol (FR)
Distribution : Ysarca Art Promotions
Production exécutive : La Mecànica
© Luca Rocchi

Dates et lieux des représentations:
- Les 8, 9 et 10 juin 2023 au Théâtre Jean Claude Carrière - Domaine d’ö dans le cadre du Festival du Printemps des Comédiens
- 15 et 16 mars 2024 - Teatros del canal, Madrid

Robert Wilson : « L’absurdité d’Ubu est terrifiante et fait fortement écho à notre époque Â»

Jarry, le père d’Ubu : Merdre que c’est bon!