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Cendres sur les mains : brandons de mémoire

  • Écrit par : Christian Kazandjian

cendresPar Christian Kazandjian - Lagrandeparade.com/ Cendres sur les mains plonge dans un quotidien d’horreur où scintille une lumière de profonde humanité.

De la brume, qui se révèlera être de la fumée, émerge une bougie et une forme quasi fantomatique. Un fort vent souffle. L’apparition entonne une chanson tsigane : ambiance tout droit tirée du Dracula de Bram Stoker : une rescapée des massacres qui ensanglantent les contrées qu’elle fuit. Elle échoue, ayant échappé à une mort annoncée, dans une forme de cimetière. Deux fossoyeurs s’y ruinent santé et entendement en incinérant les victimes. Ce sont deux benêts ; ils contraignent la femme à l’esclavage, car étrangère et donc, ennemie. Eux ont affaire à une bureaucratie crasse. Leurs corps souffrent de démangeaisons horribles, conséquences de la pollution de l’air vicié par les fumées et du contact avec les corps en décomposition. La femme, elle, refuse de leur parler ; elle réserve ses paroles et ses attentions aux cadavres, leur redonnant une humanité, une identité que la guerre leur a volées.

Douloureuse poésie

Tout oppose ses trois êtres que les désastres de la guerre a réunis. Au matérialisme, terre-à-terre des fossoyeurs, la femme oppose une poésie empreinte de douleur. On rit aux réparties des deux hommes qui cherchent à améliorer le rendement et à soulager leurs plaies, tout en découvrant la réalité de la lutte des classes. L’émotion, la tendresse, voire la poésie, en revanche, transpirent des soliloques de la femme. Voici trois êtres, ballotés par les événements tragiques de l’histoire, que tout devrait rapprocher, mais que les préjugés, les haines ancestrales opposent : ils en font leur esclave, et elle ne leur accordera pas les égards qu’elle dispense aux mort. Elle incarne la vie, quand eux sont déjà des morts-vivants.

Lumière dans les ténèbres

Le décor épuré évoque la guerre qui se rapproche, avec les stridences, les images fugaces projetées sur l’écran blanc de leur passé. Des sacs de jute rappellent qu’on y transporte des corps, mais qu’ils servent également à édifier des barricades ; au faible éclairage succèdent des épisodes de coupures. Ombre et lumière accentuent les différences entre les protagonistes. Un rayon toutefois, que tranche parfois un fossoyeur, perce la grisaille, comme l’espoir qui permet de ne pas sombrer totalement, et qu’incarne cette inconnue. Et le vent salvateur, soufflant à nouveau, met fin à la tragédie. La rescapée pourra raviver le souvenir des victimes, les tirer de l’oubli des fosses communes.
Le texte de Laurent Gaudé balance entre dérision et poésie. Il suscite l’ironie grinçante, à travers la trivialité des propos des fossoyeurs, tandis qu’une belle compassion transparaît dans les silences et les monologues de la femme. Par touches, le réel s’impose et s’estompe en un équilibre précaire, incertain, miroir de notre monde. Les trois comédiens apportent aux personnages une épaisseur, une humanité dans tout ce qu’elle présente de contradictions, d’ombre et de lumière, que la mise en scène magnifie.

esclaveCendres sur les mains
Texte : Laurent Gaudé
Mise en scène : Alexandre Tchobanoff
Avec Arnaud Carbonnier, Olivier Hamel et Prisca Lona
Assistante mise en scène : Prisca Lona

Dates et lieux des représentations: 
- du 7 au 26 juillet 2023 au festival d’Avignon, Théâtre des Carmes André Benedetto.


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