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Othello : une mise en scène audacieuse et réussie de Jean-françois Sivadier

  • Écrit par : Xavier Paquet

othelloPar Xavier Paquet - Lagrandeparade.com/ Et si Shakespeare renommait la pièce « Iago » ? Tel est le parti pris audacieux sur lequel Jean-François Sivadier a réalisé sa mise en scène tant le personnage manipulateur de Iago est mis au centre de sa pièce et tant sa présence irradie de puissance et de malice la revisite de ce classique.

Audacieux est le mot qui colle le plus à cette version de « Othello » avec une scénographie moderne faisant du plateau, fait de structures de bois et de bâches transparentes, une Venise épurée et modulable au gré de la temporalité et de l’avancée de l’intrigue : d’un navire vénitien aux bâtisses de la ville, l’eau et la lumière s’y réfléchissent avec élégance. Mais derrière l’incandescente luminosité du décor, c’est la dimension contemporaine qui irradie la mise en scène. Le quatrième mur est aboli dès l’ouverture du rideau : des comédiens s’invitent dans le public, on s’interpelle, on s’invective ; l’ensemble donne un côté comique à l’entrée en matière. Et puis, au-delà des adresses public, les codes sont franchement cassés quand Queen raisonne et quand la narration se fait au micro : ces sauts dans le temps et cette quotidienneté donne de la fraîcheur à ce classique et lui confère la stature universelle de son propos.

Othello, ancien esclave noir devenu général et commandant en chef des armées vénitiennes, convole en cachette avec Desdémone, noble fille d’un sénateur puissant qui ne veut pas d’un gendre coloré. Celui que l’on surnomme Le Maure est aussi jalousé par Iago, militaire à qui il a refusé une promotion et qui veut détruire son bonheur naissant alors que gronde la guerre entre Venise et Chypre. Toute la bassesse de l’Homme se retrouve dans le machiavélisme de Iago qui se rapproche d’Othello pour lui révéler les trahisons l’entourant, mais qui complote pour lui distiller la déloyauté de son armée et le convaincre que Desdémone lui est infidèle.
L’histoire d’une double jalousie : celle du pouvoir et de la puissance (Iago envers Othello) et celle de l’amour (Othello envers Desdémone) qui amèneront Othello à tuer sa femme et se retrouver, lui, l’homme basané, confronté aux accusations et aux méfiances que l’on avait de lui pour sa couleur de peau.

En ce sens, la plume de Shakespeare n’a jamais été aussi actuelle en parlant de racisme mais aussi de misogynie et de féminicide. Elle distille avec finesse les contours de la manipulation, cette lente montée de l’accusation qui s’irrigue dans les silences, les non-dits, les insinuations et les mensonges de Iago. Face au stratège militaire, c’est le stratège des bas instincts qui prend l’ascendant. Si de noirceur il est question, c’est celle de l’âme humaine.

Face à la roublardise de Iago, constante au fil de l’intrigue, c’est la trajectoire du personnage d’Othello qui séduit : courageux, sûr de lui et droit, il se déconstruit progressivement pour révéler une face plus sombre. Le héros militaire, décontenancé par les insinuations cyniques de l’intrigant, perd pied, semble perdu, et révèle petit à petit des instincts plus primaires pour finir dans un ballet macabre.

Même si la mise en scène contemporaine pourra en dérouter certains, on entend le verbe shakespearien et la poésie du phrasé qui n’a pas pris une ride. Le parti pris audacieux d’avoir apporté des élans comiques dans la première partie n’enlève rien au ressort tragique et à la montée de la tension dramatique dans la seconde moitié de la pièce.
Mais pour porter autant de puissance et nuances, il fallait des comédiens dont l’énergie et la finesse alternent, dont les corps sont investis et les mouvements précis et rythmés, et dont la variété apporte toute la force à l’ensemble.

Si Othello séduit Desdémone au début de l’intrigue, il a conquis le spectateur tout au long de cette version hautement réussie.

Othello
De William Shakespeare
Mise en scène : Jean-François Sivadier
Avec Cyril Bothorel, Nicolas Bouchaud, Stephen Butel, Adama Diop, Gulliver Hecq, Jisca Kalvanda, Émilie Lehuraux
Texte français : Jean-Michel Déprats
Collaboration artistique : Nicolas Bouchaud, Véronique Timsit
Scénographie : Christian Tirole, Jean-François Sivadier, Virginie Gervaise
Lumière : Philippe Berthomé, Jean-Jacques Beaudouin
Costumes : Virginie Gervaise
Création 2022
 Durée : 3h20 (avec un entracte)

Dates et lieux des représentations : 

-  Du mer. 24/05/23 au jeu. 25/05/23 à Châtenay-Malabry - L'Azimut - Tel. +33 (0)1 41 87 20 84


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