Par Christian Kazandjian - Lagrandeparade.com/ Répliques dévoile les rêves inassouvis, les galères, les exaltations, la beauté aussi d’une profession trop souvent fantasmée.

Le décor d’abord : un capharnaüm digne d’un vide-grenier, l’antre d’un célibataire. Mais, Denis Martini a bien une famille : deux enfants en Amérique, une femme dont il vit séparé, momentanément s’illusionne-t-il. Il accueille bientôt un collègue, Arthur Laporte, qui a opté pour un nom qui « pète Â» mieux dans le milieu : Art Portman. Ils ont été amis peut-être, il y a longtemps, alors Denis accepte-il de l’héberger dans le studio de son fils : Arthur a été largué par sa jeune maîtresse. C’est que les deux compères ont quelques années de vol ; ils écument depuis des décennies les scènes de théâtre, les plateaux de cinéma et les studios. Ils ont, un jour, été plutôt bons dans le métier. Mais aujourd’hui... Arthur enchaîne les spots de pub, Denis les panouilles où les quelques répliques qu’on lui concède sont coupées au montage. La galère, quoi ! Mais eux espèrent décrocher Le rôle, l’un avec un texte de Nathalie Sarraute, l’autre se voit rien moins qu’en Cyrano spéculant même sur la possibilité de reconquérir son ex-volage compagne.

Un métier fragilisé

Répliques nous plonge dans le quotidien d’acteurs de second plan, de ceux qui courent le cachet, mais sans lesquels nombre de productions n’existeraient pas. Les arts de la scène tournent autour d’une double poignée de célébrités, de celles que les producteurs et directeurs de salle se repassent. Quant à la multitude des autres, elle fait vivre le théâtre, notamment dans de petites structures où de nouveaux textes, de nouvelles mises en scènes enrichissent le répertoire. Loin des paillettes et des tapis rouges, les deux protagonistes dévoilent la fragilité d’un métier que des mesures toujours plus contraignantes (statut d’intermittence, retraite) menacent de sinistre. Quant au préjugés sur l’âge, notamment pour les femmes… Car, le public connaît-il vraiment la vie des actrices et acteurs hors les murs des théâtres et studios ? Sinon, comment interpréter cette réflexion d’un gamin, à la sortie d’un gala de cirque : « qu’est-ce que ça mange un clown ? Â».

Précarité et cruauté

Le texte alterne, en une quinzaine d’estampes, échanges amènes, sensibles, et sorties vachardes : on est amis, on s’entraide, mais on ne manque pas une occasion de balancer une pique à celui qui pourrait être un concurrent. Les deux comédiens, rejoints un instant par quatre jeunes collègues, déploient toute la panoplie des sentiments, sans afféterie, émouvants et drôles tour à tour. Ces seconds rôles sur le papier sont joués par deux comédiens d’excellence. On rit donc, on est ému de voir ces êtres désabusés, ballotés dans un décor aux éléments en vrac, avec des effets d’éclairage qui soulignent la confusion de leurs sentiments. Avec en miroir, une profession qui prend de plus en plus l’aspect de sacerdoce devant les difficultés dressées sur le parcours de femmes et d’hommes voués au divertissement et à la diffusion de la culture. Un spectacle sur la cruauté et la beauté d’un milieu qui continue de fasciner.

Répliques
D'Emanuelle Delle Piane
Mise en scène  : Patrick Haggiag
Avec Benoît Di Marco et Didier Menin-Franceschini

Dates et lieux des représentations: 
- Jusqu'au 1er avril 2023 - La Reine blanche, Paris 18e (01.40.05.06.96.), les mercredis, vendredis et samedis - Cliquez ICI