Léocadia : le prince et le fantôme de l’amour
- Écrit par : Christian Kazandjian
Par Christian Kazandjian - Lagrandeparade.com/ Conte de fée moderne, Léocadia de Jean Anouilh, évoque la place des défunts dans le souvenir et l’impérieuse vertu salvatrice de l’oubli.
Une sorte de M. Loyal convie le spectateur à un conte, comme aiment à en entendre les enfants qui, adultes, n’oublient pas ces plaisirs lointains. Car, les êtres humains, à la différence des autres espèces, nous rappelle le conteur en frac, ont conscience de leur condition de mortel. Aussi attachent-ils une importance primordiale à l’amour. Tout est, dès lors, en place : l’histoire peut commencer. Amanda, jeune modiste est embauchée au château de la duchesse d’Andinet d’Andaine. Agacée de ne pas savoir quelle sera sa fonction, elle obtient de la maîtresse de maison, après moultes circonvolutions la réponse : elle devra jouer le rôle de « souvenir », pour le neveu de madame, frappé d’une forme de neurasthénie à la mort de celle qu’il croyait être son grand amour, la cantatrice Léocadia Gardi, étranglée par son châle ( allusion franche à la chorégraphe Isadora Duncan). Après bien des prises de bec, de confidences, d’atermoiements, le prince et la petite prolétaire… On devine la fin de cette histoire de fée, tirée de la période « pièces roses » de Jean Anouilh, comprenant Le bal des voleurs, ou Le rendez-vous de Senlis. La duchesse endosse, ici, les habits de la bonne fée, le neveu, lui est le prince charmant.
Extravagance et sérieux
On pourrait se gausser de pareil conte à endormir les enfants, si on n’en notait pas le caractère parodique, l’humour grinçant, la distanciation donnée par un procédé cher à l’auteur : la mise en abyme, le théâtre dans le théâtre. La duchesse, après avoir reconstitué les lieux que son neveu et la cantatrice ont fréquenté durant trois jours, provoque la rencontre entre les deux jeunes gens. Les ingrédients du comique, ici ingénieusement montés, provoque le rire. Et dans Léocadia, on rit beaucoup. Les extravagances de la duchesse, ses saillies, jalonnent la mise en scène qu’elle pense maîtriser, mais qui la dépassent, in fine : le souvenir de la célèbre disparue enfin effacé, le prince peut enfin connaître le véritable amour. La pièce, de par son humour grinçant, décortique les rapports sociaux opposant noblesse oisive, dispendieuse et servitude qu’incarnent Amanda, la modeste chapelière, Germain le valet, que sa maîtresse ne considère pas même comme « un homme », et M. Souvenir, tour à tour, petit commerçant ou d’artisan, et obséquieux à souhait.
Aux rives de l’enfance
Le dispositif scénique, un manège qui permet les changements de lieux, est mis en branle par le narrateur (le metteur en scène de la pièce, David Legras, le joue en alternance). Ce deus ex machina nous rappelle que nous sommes au théâtre, assistant à un conte, tout droit tiré de notre enfance. Un conte cruel cependant car il y est beaucoup question de la mort, jusqu’au « happy end ». Mais de cela le narrateur nous en a avertis, dès le préambule. La compagnie Ballons rouges a su éviter le piège de l’interprétation boulevardière à laquelle peut se prêter le texte. Les six comédiens se prêtent avec conviction et talent à l’entreprise de raconter une histoire, de titiller notre imagination, à travers décor et accessoires, de nous entraîner un moment ailleurs, vers les rives de notre enfance, au royaume des princes et des midinettes. Là où l’amour est roi. Une pièce revigorante dans l’ambiance morose de notre époque, assez semblable à celle où Anouilh implante sa pièce, parmi les moins jouées de sa production : la période de l’entre-deux guerres mondiales.
Léocadia
Auteur : Jean Anouilh
Mise en scène : Davis Legras
Avec Camille Delpech, Valérie Français, David Legras, Jacques Poix-Terrier, Drys Penthier, Emilien Raineau, Axel Stein-Kurdzielewicz
Dates et lieux des représentations:
- Jusqu'au 9 avril 2023 Ã Le Funambule Montmartre, Paris 18e (01.42.23.88.83)