Zola l'infréquentable de Didier Caron : Zola, Daudet, le duel
- Écrit par : Christian Kazandjian
Par Christian Kazandjian - Lagrandeparade.com/ L’infréquentable nous plonge dans « l’Affaire Dreyfus », un des moments-clé de l’histoire de France.
16 décembre 1897. Alphonse Daudet vient de mourir. Emile Zola prononce l’oraison funèbre. Une amitié s’achève, nait alors une haine que vouera, jusqu’à sa mort, Léon Daudet, fils d’Alphonse, à l’auteur de la saga des Rougon Macquart. Zola l’infréquentable dessine le champ d’affrontement de deux brillants intellectuels – quoique l’un, on devine lequel, l’était plus que l’autre-. Léon Daudet, républicain reconverti à l’extrême-droite, raciste et antisémite, écrivain banal, journaliste polémiste, à la plume assassine, mais ne manquant ni d’humour, ni parfois d’humanité, attaque perfidement Zola, Italien, écrivain plongeant sa plume dans le sang et la sueur du peuple laborieux et pauvre. L’auteur de Nana, L’Assommoir, pas en reste en matière d’ironie, accepte le défi. L’échange, où l’humour le dispute aux vacheries, porte essentiellement sur des sujets ressortissant de la littérature et de l’intimité des familles. Le ton change radicalement, jusqu’à la rupture définitive, d’une amitié tenant davantage des liens de Zola avec Alphonse Daudet, lorsque Léon publie, en janvier 1895, dans Le Figaro, son abject article antisémite sur la dégradation du capitaine Dreyfus.
Combat pour la vérité
Ce sombre règlement de compte au sein de l’armée, devient, en 1897, l’« Affaire », quand Zola écrit dans L’Aurore, sa lettre au président portant le titre coup de poing : J’Accuse. Cela lui vaudra, l’année suivante, procès en calomnie et condamnation à un an de prison et 3 000 francs d’amende, peine maximale et le forcera à s’exiler à Londres, durant onze mois, sur conseil de ses amis dreyfusards. « Dreyfusards », « Antidreyfusards », les termes, dès lors, résonnent au-delà des frontières et restent gravés dans l’histoire de la France. Le combat pour la vérité et la justice qu’a mené Emile Zola, quasi seul au début, puis soutenu ensuite par des franges de plus en plus importantes de la population, a donné naissance à la Ligue des droits de l’homme et dessiné une ligne, fluctuante à l’époque, entre droite et gauche. La pièce revêt une actualité salutaire, en ces temps de montée d’antisémitisme, de racisme, de violence, d’instrumentalisation des religions, autant de fléaux alimentés, comme au moment de l’« Affaire », par des médias à la portée aujourd’hui plus large et délétère.
Duel à fleurets mouchetés
La confrontation, entre deux pensées (humanisme, intolérance), est admirablement rendue par deux comédiens de talent. Pierre Azéma, tour à tour, malicieux ou porté par de saines colères, offre un Zola tout de nuances, d’humanité. Quant à Bruno Paviot, comment ne pas saluer sa performance, dans le rôle du « Gros Léon », précieux, affecté, chattemite, envieux, mais également fils attentionné et fragile. Le duel entre deux figures de la vie culturelle et politique française (l’œuvre immense de Zola, la carrière politique entachée de violence de Daudet) se déroule dans un décor de bibliothèque croulant sous les livres, d’un bureau-écritoire, de fauteuils où bien discourir, le tout soulignant l’atmosphère intellectuelle d’un épisode propre à marquer durablement l’histoire. L’évocation de géants de la littérature, contemporains de l’«Affaire » : Anatole France, Proust, Alphonse Daudet, Flaubert, ou de sombres figures de l’extrême-droite : Drumont, Barrès, Maurras, constitue une incitation à (re)découvrir des œuvres, des épisodes dont les remous continuent d’agiter la vie politique, culturelle et sociale. Une pièce utile où se mêlent humour, rires et réflexion profonde sur l’essence même de l’être humain.
Zola l’infréquentable
Ecriture et mise en scène : Didier Caron
Avec Pierre Azéma et Bruno Paviot
Dates et lieux des représentations:
- Jusqu'au 13 janvier 2022 au Théâtre de la Contrescarpe, Paris 5e (01.42.01.81.88) du mercredi au dimanche.